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Dossier

A l'heure du Covid, le NHS, malmené par le Brexit

Publié le 14/01/2022
A l'heure du Covid, le NHS, malmené par le Brexit

Cet automne, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a dû se résoudre à annoncer une hausse inédite (+ 1,25 %) de la National Insurance, un impôt destiné à financer le NHS en difficulté.
AFP

La sortie de l’Europe du Royaume-Uni affecte le milieu médical britannique depuis le référendum de 2016. Si les conséquences strictes du Brexit sont difficiles à séparer de celle du Covid, la combinaison des deux événements fragilise un secteur déjà en difficulté

« Nous donnons 350 millions de livres par semaine à l’UE, mieux vaut financer le NHS avec ! » La promesse, affichée sur un bus rouge lors de la campagne référendaire de 2016 sur le Brexit, était non seulement irréaliste mais ne correspondait à rien de concret, puisqu’il ne s’agissait même pas de la somme exacte versée à l’Union européenne. Conscients de cette réalité, le camp du « Leave », les anti-Union européennes, a même laissé tomber cette affaire un mois et demi à peine après le résultat du référendum le 23 juin 2016. Reste que, la fin de la période de transition post-Brexit ayant eu lieu le 31 décembre 2020, en pleine crise du coronavirus, il est bien difficile à ce jour, de distinguer les conséquences liées à la sortie de l’Union européenne de celles de la pandémie.

Une chose est sûre : la manne promise par les pro-Brexit n'est jamais arrivée dans les poches du NHS, le service national de santé. Mais, contrairement à ce que prévoyaient certains partisans pro-européen du vote « Remain », le budget du NHS n’a pas non plus baissé après la sortie de l’Union. En 2018/2019, le Royaume-Uni a dépensé environ 153 milliards de livres pour la santé, soit une augmentation de 2 % par rapport à l'année précédente et dix fois plus que ce qui avait été dépensé 60 ans plus tôt, en 1958-1959 selon les données de la Health Foundation. Mais cette hausse n’a rien à voir avec les relations entre le pays et l’Union européenne : elle est le fruit de la croissance démographique du Royaume-Uni, de la prévalence croissante des maladies chroniques et des coûts croissants de la prestation des soins.

Choix politique

Néanmoins, de façon générale, le Brexit a en effet mis à mal les finances publiques. « L'Office de la responsabilité budgétaire, qui est dirigé par d'éminents Brexiters, estime aujourd'hui que quitter l'UE a entraîné une croissance économique inférieure de 4 % à ce qui aurait été autrement le cas, précise Mark Dayan, analyste des politiques et chef des affaires publiques au sein de Nuffield Trust, un think tank spécialiste des questions de santé. Cela signifie moins de revenus issus des taxes, alors que le NHS est principalement financé par les impôts. À l’échelle de l’ensemble de l’économie, cela représente autour de 15 milliards de livres par an selon les chiffres officiels du gouvernement. Si on le traduit proportionnellement sur le budget du NHS, cela aurait signifié moins de dépenses - mais pas de coupes réelles. Cela dit, il faut rappeler que les dépenses publiques sont aussi un choix politique, pas une conséquence directe des tendances économiques et le référendum sur le Brexit a dû inciter les gouvernements à augmenter les finances pour le NHS. »

Une autre crainte agitée par les défenseurs de l’Union européenne lors du référendum concernait les risques de privatisation du NHS si un accord de libre-échange avec les États-Unis était signé en conséquence de la sortie du Marché unique. « C’est une idée qui a toujours été exagérée, poursuit l’expert. Il y a peu de risque pour que le NHS se transforme en un système de santé comme celui des États-Unis, pour la simple raison qu’il ne fonctionne pas du tout de la même façon. » Le NHS recourt à des prestataires privés pour certaines de ses opérations seulement. Des inquiétudes se sont fait entendre sur la protection des investissements dans le cadre d’un accord avec les États-Unis, dans la mesure où la renationalisation de certains services du NHS pouvait être rendue difficile si elle était souhaitée. « Mais de toute façon, il ne semble pas que nous soyons près d’obtenir un accord avec les États-Unis, rappelle Mark Dayan. Donc, si cela reste toujours une question de fond, c’est loin d’être une inquiétude de premier ordre. »

En revanche, une conséquence du Brexit très visible sur différents aspects de l’économie reste l’impact de la sortie de l’Europe sur les mouvements de population. « Cela ne s’est pas observé de façon très marquée sur le nombre de médecins, car le pays n’a jamais attiré cette profession de façon importante, indique l’expert. En revanche, cela a été le cas pour les infirmiers. Avant le référendum, ils étaient très nombreux à venir d’Europe et cela a chuté de façon spectaculaire juste après. »

Le Brexit n’est pas le seul phénomène en cause pour expliquer ces pénuries de professionnels. Par exemple, un nouveau test d’anglais plus difficile à réussir a été introduit au même moment, renforçant l’impact déjà causé par la sortie de l’Union. « Après cette première année hors de l’Europe, nous observons aussi les difficultés entraînées par les pénuries de soignants pour personnes âgées et en situation de handicap. Ces professions peu payées et qui ne demandent pas un haut niveau de qualification attiraient beaucoup de travailleurs européens et cette source-là a pris fin avec le Brexit. Les postes vacants ont augmenté de façon rapide pour atteindre les 10 %. C’est alarmant, même si tout n’est pas dû à la sortie de l’Union européenne. C’est un secteur qui n’a pas beaucoup été financé et couper l’immigration n’a pas du tout aidé. »

Stocks

L’autre pénurie liée au Brexit concerne celle des médicaments aussi largement importés depuis l’Europe. « Il faut toutefois noter que le Royaume-Uni a réussi à prévenir une pénurie immédiate de produits en début d’année dernière », souligne l’expert. En effet, le gouvernement avait prévenu les laboratoires pharmaceutiques et leur avait demandé de constituer des stocks pour anticiper les perturbations à la frontière avec la mise en place des nouvelles règles post-Brexit. Selon une consultante du secteur, des stocks avaient commencé dès les années précédentes en prévision du Brexit initialement prévu pour le 31 mars 2019. Ces stocks auraient d’ailleurs permis au Royaume-Uni de ne pas manquer de médicaments au cours de l’année 2020 au début de la pandémie de coronavirus. Avant la fin de la période de transition en décembre 2020, le gouvernement avait demandé de façon explicite aux entreprises pharmaceutiques de constituer des stocks de 6 semaines. Les pénuries immédiates ont aussi été évitées par le changement de routes d’importation de ces médicaments.

Mais si les grands laboratoires ont réussi à s’organiser, certains stocks ont été plus difficiles à mettre en place du fait de dates de péremptions courtes. « À cela s’est ajoutée la crise des chauffeurs de poids lourds de cet été, qui a provoqué des problèmes d’approvisionnement de toute sorte au Royaume-Uni, poursuit Mark Dayan. Dans le secteur médical, cela s’est aussi traduit par des manques d’échantillon ou de tubes en plastique importé d’Europe. S’il y a eu des pénuries partout sur le continent, cela a été particulièrement important au Royaume-Uni, dû à la pression aux frontières et à la pénurie de chauffeurs. Cela dit, nous n’avons pas observé de pénurie importante de médicaments vitaux qui n’existerait pas ailleurs. »

Horizon Europe

Sur la question de la recherche et de l’innovation, qui inclut la question de la santé, le Royaume-Uni a fait le choix de poursuivre sa participation à Horizon Europe, dont le nouveau programme-cadre s’étend de 2021 à 2027. Alors que les étudiants sont désormais exclus du programme Erasmus, a priori, les entreprises et universités britanniques peuvent toujours bénéficier de financement européen sur la question – mais c’était sans compter sur le caractère politique des nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. « La finalisation de la participation du pays à ce programme a été retardée pour de nombreux mois, poursuit Mark Dayan. Cela fait partie de la stratégie de négociations du protocole nord-irlandais. » En attendant que soit résolu le problème, le Royaume-Uni a annoncé une garantie de financement pour la première vague de candidats éligibles et retenus à Horizon Europe le 29 novembre 2021. Le gouvernement a annoncé qu’il s’agissait d’une mesure à court-terme seulement, montrant son optimisme concernant la finalisation de sa participation au programme - et son intérêt à conserver des liens avec la recherche européenne.

Exergue : Après cette première année hors de l’Europe, nous observons des pénuries dans certaines catégories de soignants

Correspondance, Chloé Goudenhooft