Accès à la transplantation en France

L’influence des inégalités socio-économiques

Par
Publié le 13/04/2017
Article réservé aux abonnés

Pour pouvoir être inscrit sur la liste d’attente de transplantation il faut d’abord être transplantable, c’est-à-dire exempt de contre-indication à la greffe, temporaire (infectieuse, carcinologique…) ou définitive (comorbidités lourdes et/ou âge très avancé, même si l’accès à la greffe après 70 ans s’améliore, 5 % en 2004-2009, 20 % aujourd’hui).

Une évaluation difficile

Étudier la question de l’influence du milieu socio-économique sur l’accès à la greffe rénale est pertinent. En effet, non seulement les principales maladies conduisant au stade de suppléance (stade V) de la maladie rénale chronique diffèrent selon le niveau socio-économique, mais le milieu socio-économique lui-même influe sur le dépistage et la prise en charge notamment du diabète et de l’hypertension.

L’analyse de l’influence du niveau socio-économique sur l’accès à la greffe est cependant compliquée. Elle doit être évaluée pays par pays, vu les différences d’épidémiologie et d’accès aux soins d’un pays à l’autre (France, États-Unis…).

Comment procéder ? « Pour évaluer l’accès à la greffe (2), il faut prendre une cohorte de patients incidents (en début de dialyse), puis les suivre dans le temps pour étudier la dynamique de l’inscription sur la liste. L’analyse doit tenir compte des comorbidités, de l’âge, de l’état physique et médical avant de passer à une variable de défaveur sociale », indique le Dr Bayat.

Reste ensuite à catégoriser les différents niveaux socio-économiques. Mais, faut-il pour cela examiner les diplômes (dont les facilités d’obtention diffèrent entre générations), le revenu, les actifs… ?

Les comorbidités plus que le niveau socio-économique

Pour étudier l’inscription sur la liste d’attente en fonction des niveaux socio-économiques en région Bretagne, choisie à cause de sa mixité (rurale et urbaine), et comme le registre REIN ne donne aucune information sur le niveau socio-économique des patients ; Kihal-Talantikite et al. ont étudié la défaveur sociale du lieu de résidence à l’échelle géographique de l’IRIS (Îlot Regroupé pour l’Information Statistique, regroupant 2 000 habitants en moyenne). Chaque IRIS a été caractérisé par un indice de défaveur sociale construit à partir des données de recensement de l’INSEE et en tenant compte du degré d’urbanisation de l’IRIS (l’absence de véhicule par exemple n’a pas la même signification en secteur rural qu’en centre-ville). En analyse univariée, l’étude retrouve un lien entre défaveur sociale et inscription sur la liste d’attente : les patients de milieux socio-économiques favorisés ont plus de chance d’être inscrits sur la liste d’attente et moins de risque de décès (RR = 1,40 IC 95 % [1,1-1,7] ; RR = 0,82 IC 95 % [0,7-0,98]). « Mais, cette association ne tient plus si on ajuste sur la clinique (âge, autres comorbidités) ! Autrement dit, ce n’est pas le fait d’être de niveau socio-économique défavorisé qui limite l’accès à la greffe, mais les comorbidités, qui sont plus importantes chez les patients défavorisés. D’où l’importance d’une analyse multivariée ! », précise la Pr Vigneau. En Bretagne, région dotée de 2 centres de transplantation, une fois l’âge et les comorbidités prises en compte, à partir du moment où le patient a accès à la dialyse, il n’y a pas de lien entre la défaveur sociale et l’inscription sur la liste.

Sujet sensible

Un article (3) publié dans la revue Population pointe les inégalités (la greffe intéresserait plus les diplômés) et une situation de « rente de la dialyse ». Cet article a fait réagir, notamment dans les médias (Médiapart [4], Le Figaro [5]). Le Dr Bayat note que : « L’enquête Quavi-REIN 2011 dont fait état l’article de Population était une étude transversale incluant les patients dialysés et greffés (cas incidents et prévalents confondus) qui acceptaient de répondre à un questionnaire. Les analyses présentées dans l’article ne sont pas ajustées sur les comorbidités qui sont des contre-indications potentielles à la greffe et sont par ailleurs, pour le diabète, l’obésité et l’hypertension, très liées à la précarité sociale ».

Les signataires de l’étude de PloS ONE retiennent qu’ « en métropole, les inégalités sociales n’interviennent probablement pas au moment de l’inscription sur la liste mais plus en amont, par le biais des maladies causales de l’IRC et que celles-ci retentissent in fine sur la rapidité de l’inscription sur la liste ».

D’après un entretien avec le Dr Sahar Bayat et la Pr Cécile Vigneau, CHU de Rennes
(1) Kihal-Talantikite W et al. PLoS ONE, 2016,11: e0153431
(2) Bayat S et al. A. J. Trasplant 2015;10: e0125089
(3) Baudelot C et al. Population-F 2016;71(1):023-052
(4) Coq Chodorge C. Médiapart, 21 décembre 2016
(5) Mascret D. Le Figaro, 10 juin 2016

Dr Sophie Parienté

Source : Bilan Spécialiste