Le système de santé en surchauffe

Macron s'emploie à éteindre les incendies, le malaise perdure

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Publié le 13/01/2023
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Gagner du temps médical, « sortir » de la T2A, valoriser la PDS, simplifier, responsabiliser les patients : preuve du caractère inflammable de la crise qui frappe l’hôpital comme la médecine de ville, Emmanuel Macron a consacré pour la première fois des vœux exclusifs aux acteurs de la santé. Mais son programme a exaspéré les libéraux, sans rassurer totalement les hospitaliers.
Emmanuel Macron a présenté ses voeux aux soignants lors d'un déplacement au CH de Corbeil-Essonnes

Emmanuel Macron a présenté ses voeux aux soignants lors d'un déplacement au CH de Corbeil-Essonnes
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Nouvel horizon ou coup pour rien ? La question sera tranchée dans les prochains mois après les longs vœux d'Emmanuel Macron, en forme de discours programme, prononcés le 6 janvier aux acteurs hospitaliers et libéraux de la santé à l'occasion d'une visite du centre hospitalier de Corbeil-Essonnes, une première depuis 2017.

Marqueurs et recyclage

Soucieux de « sortir d'une crise sans fin », le locataire de l'Élysée a affiché son volontarisme sur le calendrier, posé quelques marqueurs – sur la gouvernance, la tarification et la simplification – mais aussi recyclé de nombreux chantiers restés dans les tuyaux ou dans les limbes. 

Fidèle à la nouvelle méthode promise - moins verticale -, il a renvoyé plusieurs sujets de réorganisation à l'échelle des hôpitaux et des services (temps de travail, plannings) ou au niveau de chaque territoire pour la médecine de ville, les Conseils nationaux de la refondation (CNR) territoriaux devant bâtir des solutions à la carte. Et sur la rémunération, principal effet d'annonce, le cap affiché consiste à quitter la logique de tarification à l'activité pour basculer vers des paiements sur objectifs de santé publique, aux missions ou populationnels, une inflexion pour laquelle milite depuis longtemps la FHF. Pour les libéraux, Emmanuel Macron esquisse un système de financement à géométrie variable, au gré des engagements de chaque praticien. 

35 heures, le début de la fin

Confronté à une multiplication de signaux alarmants (grève des généralistes et des biologistes, arrêts de travail à répétition aux urgences, crise de la pédiatrie, etc.), le président a choisi d'embrasser tous les sujets d'inquiétude, au risque de nuire à la lisibilité de son propos. 

Postes vacants, turnover, départs non remplacés : la pénurie soignante constitue le premier défi. À l'hôpital, les remèdes annoncés passent par la promesse de nouveaux recrutements paramédicaux, ce qui suppose notamment la refonte des études infirmières que trop d'élèves quittent en cours de route. Plusieurs engagements d'ici à juin sont aussi pris pour assouplir le temps de travail — exit l'« hyper-rigidité » des 35 heures —, réhabiliter le service hospitalier comme unité de référence et alléger l'exercice grâce à des personnels administratifs basculés en renfort des équipes soignantes. Autant de propositions qui font écho aux plan d'action que Nicolas Revel a lancé en décembre pour l'AP-HP. Autre gage aux blouses blanches, la généralisation du tandem administratif et médical à la tête des hôpitaux, un co-management souvent déjà en place mais qui tourne la page du « seul patron » voulu par Nicolas Sarkozy au travers de la loi Bachelot de 2009.

En médecine de ville, aucune surprise : les renforts humains sont censés arriver sous la forme de bataillons d'assistants médicaux subventionnés par l'Assurance-maladie — 10 000 fin 2024 contre 4 000 aujourd'hui — ce qui signe une accélération de cette dynamique déjà promise en octobre par le ministre de la Santé.

Forfaits, vent en poupe 

Le chef de l'État a ensuite évoqué une réforme profonde de l'allocation des ressources, qui mettra du temps à s'appliquer. Après des années d'atermoiements, c'est la fin programmée de la T2A majoritaire, dès la prochaine loi Sécu, au profit de financements territoriaux ou populationnels. Si le discours a des airs de déjà-vu, le chef de l'État a semblé déterminé. « Pour l'hôpital, les établissements privés, les professionnels de santé libéraux, il faut qu'il y ait une part structurante de la rémunération qui repose sur des objectifs de santé publique qu'on négocie à l'échelle d'un territoire », a-t-il cadré. 

Si cette réforme du financement peut convenir aux hospitaliers, sévères vis-à-vis de la T2A, elle génère des anticorps en ville car ce cap valide la logique forfaitaire à l'heure où des milliers de libéraux ont fait grève pour valoriser leurs tarifs. Dans les négos conventionnelles en cours, le directeur de la Cnam, Thomas Fatôme, devra trouver le bon dosage entre la revalorisation des actes et la montée en puissance de ces financements sur objectifs ou territoriaux (coordination, tours de garde, nouveaux patients, encadrement d'internes, renfort dans les déserts). « C'est sur les professionnels qui sont prêts à s'organiser sur un territoire avec d'autres et assurer la permanence des soins qu'on va mettre plus de moyens, c'est plus juste ! », a martelé Emmanuel Macron.  

Pénibilité, gardes : revalos en vue 

S'il est un sujet qui s'est imposé à l'hôpital comme en libéral, c'est celui de la reconnaissance des contraintes attachées à l'exercice, en particulier le travail de nuit. Encore une fois, Emmanuel Macron s'est d'abord adressé aux hospitaliers auxquels il promet de « faciliter les conditions de vie » avec un parc de logements dédié dans les zones en tension immobilière ou des facilités de transport. Le travail sera engagé avec les élus, dans le cadre du CNR. Côté émoluments, le maintien de la majoration de nuit est confirmé jusqu'à la fin des travaux sur la permanence des soins et la pénibilité. C'est donc une revalorisation pérenne des astreintes, des gardes et du travail nocturne qui semble avoir l'onction présidentielle.

Et sur la PDS, désormais « l'affaire de tous », l'Élysée appelle aussi à la « redistribution » des efforts ville/hôpital, un gage donné à la FHF qui réclame depuis des années davantage d'implication des cliniques et des médecins libéraux.

Équipe traitante et accès directs

Même s'il n'est pas question du retour des gardes obligatoires, le menu présidentiel a mécontenté la médecine de ville (lire ci-dessous). Outre la concentration des moyens sur les libéraux qui s'engagent, notamment à accroître leur patientèle, le chef de l'État a repris la sémantique chère à François Braun de « droits et devoirs », en insistant surtout sur ces derniers. Ainsi, les 600 000 patients en ALD privés de médecin traitant devront avoir accès à une équipe de référence cette année, le service d'accès aux soins (SAS) sera généralisé, le plafond de 20 % de téléconsultations sera abrogé - contredisant le directeur de l'Assurance-maladie - tandis que se multiplieront les accès direct à d'autres professionnels (vaccination, dépistage, renouvellement d'ordonnances) sur fond de déploiement « massif » des IPA. 

Emmanuel Macron s'est du moins engagé à supprimer les certificats inutiles et à simplifier les procédures. De son côté, la Cnam est missionnée sur les fameux « lapins » qui pourrissent la vie des confrères. Insuffisant pour tracer un nouvel horizon aux libéraux.


Source : Le Quotidien du médecin