Négociations conventionnelles : les syndicats vont désormais sonder leur base, la signature plus qu’incertaine

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Publié le 24/02/2023
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Crédit photo : S. Toubon

À 19 h 45 pétante, l’ultime séance de négociations conventionnelles organisée hier jeudi entre les médecins libéraux et l’Assurance-maladie « a été écourtée, dans une ambiance très tendue, invivable presque », raconte la Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF.

Après avoir présenté ses derniers ajustements aux partenaires conventionnels, Thomas Fatôme, le patron de la Cnam, a ainsi clos trois mois de pourparlers dont l'issue semble désormais de plus en plus compromise. Le projet final de texte de la prochaine convention médicale devait être envoyé aux syndicats dans la journée. Vendredi après-midi, lors d'une conférence de presse, le directeur général a salué « l'intensité et la richesse des discussions » et s'est réjoui de la présence des organisations d'internes, au statut d'observateurs.

Des « bricoles »

Parmi les nouveautés présentées hier par la caisse : un assouplissement pour entrer dans l’engagement territorial (CET) - sésame pour accéder à des tarifs supérieurs de consultation - avec un niveau d’évolution de la file active exigé légèrement réduit.

Des « bricoles » pour Corinne Le Sauder, qui regrette des propositions « à la marge, qui ne changent en rien la philosophie » de cette convention, basée sur l’engagement territorial. « On a l’impression qu’on est en train de tuer la médecine libérale, mais on ne se laissera pas faire », tonne la généraliste du Loiret.

« L’issue des négociations reste incertaine à ce stade », rapporte également Olivia Fraigneau, présidente de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), présente aux négociations en tant qu’observatrice. « Il reste des sujets de crispation comme le contrat d’engagement territorial, qui rappelle l’ambiance coercitive générale du moment », regrette-t-elle.

Les jeunes ont toutefois obtenu hier une aide à l'installation en ZAC et une extension de la durée pour toucher les aides augmentées à quatre ans après la fin du DES. « Des efforts ont été faits, mais reste à savoir s'ils seront suffisants pour l’attractivité de la médecine libérale », tempère la présidente de l’Isni.

Lignes rouges

Pour le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, « certaines lignes rouges sont toujours là ». Il cite par exemple le CET « qui n’embarque qu’un bon tiers des médecins, et laissera donc sur le bord de la route les deux tiers des confrères et des patients ». Le Dr Devulder regrette notamment que la mise en application des trois niveaux de consultations conditionnés à la signature du CET - 30 euros pour les généralistes, 35 euros pour les autres spécialités pour le niveau de base puis 40 et 60 euros pour les deux suivants- n’entrent en vigueur qu’en octobre 2024. « À mon sens, cette convention n’est pas faite pour trouver une solution rapide à l’accès au soin », conclut-il.

Autre ligne rouge pour la CSMF : des inégalités de revalorisation pour certains spécialistes, comme les neurologues ou les cardiologues et sur les actes techniques. « La spécialité de neurologie est la seule à voir une dévalorisation relative ou absolue de toutes ses consultations », a d’ailleurs regretté le Dr Bruno Perrouty, neurologue et président de la branche spécialiste de la CSMF. « Cette négociation s’est manifestement déroulée pour essayer d’amener des syndicats représentant une minorité de médecins à la signature sans jamais prendre en compte la situation dramatique du système de santé et en particulier de la médecine de ville sur laquelle on doit investir pour favoriser l’accès aux soins » a renchéri dans un communiqué Les spécialistes-CSMF. « Comment un syndicat de spécialistes responsable pourrait-il dire oui ? » fait-il même mime de s'interroger.

« Cette convention vise à soutenir d’abord les médecins généralistes, les spécialités cliniques qui sont en bas de l’échelle de revenus de spécialités : les pédiatres, les psychiatres, les endocrinologues » a fait valoir Thomas Fatôme devant la presse vendredi. 

La CSMF attend de consulter sa base

Toutefois, « il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain », tempère Franck Devulder qui voit comme une « avancée » l’arrivée de ces trois niveaux de consultation. « Pour un généraliste ou un pédiatre, ça représente en moyenne 30 000 euros de plus par an de chiffre d'affaires », explique-t-il. « Sauf que nous souhaitions une consultation de base à 30 euros pour tous », déplore-t-il néanmoins.

Alors que la date butoir de signature de la nouvelle convention est fixée au 28 février, la CSMF ne signera de toute façon pas mardi. « Nous avons des statuts et une démocratie interne à respecter », fait savoir le Dr Devulder. Aussi, la CSMF organisera un webinaire d’information avec tous ces cadres le 1er mars, puis des assemblées générales régionales et départementales, avant une AG extraordinaire les 11 et 12 mars. « Je donnerais donc la réponse le dimanche 12 mars à 13 heures », précise le Dr Devulder.

Votes en ligne

Le timing sera exactement le même du côté de la FMF. « Nous ne signerons pas mardi », explique aussi Corinne Le Sauder, qui organisera une AG le 11 mars, assortie d’un vote en ligne de ses adhérents. « Nous allons prendre le temps de lire le texte », martèle-t-elle.

Clé de voûte de la signature de la convention pour les généralistes, MG France sondera elle aussi ses troupes, cette fois-ci dans le week-end. Samedi, le syndicat réunit son comité directeur en présence de ses adhérents. Le résultat du vote - conditionnant ou non la signature de la convention - sera dévoilé dimanche soir. « Nous demandions 30 euros sans condition, pas de charger la mule à une profession qui en fait toujours plus, déplore ce vendredi soir, la Dr Agnès Giannotti. La ligne rouge des 30 euros est toujours là ». Selon la présidente de MG France, les pouvoirs publics « n’ont pas vu la colère de la profession. Dire que c’est du donnant donnant ça veut dire que la profession ne s’engage pas ? Les généralistes n’en peuvent plus d’entendre cela. La profession l'entend comme du mépris et de la non-reconnaissance » »

Le SML lui aussi organisera un vote électronique ce week-end. Mais le syndicat anticipe déjà un « clap de fin des espoirs des médecins ». Dénonçant un CET « aberrant et antilibéral », l’association Médecins pour demain exhorte quant à elle les syndicats à ne pas signer la convention. « C à 26,50 euros ou contraintes croissantes alors que nous travaillons 55 heures semaine. C’est non ! », lance le collectif.

L’UFML-S craint même que la signature de la convention ne crée une jurisprudence : « plus aucune discussion tarifaire des médecins libéraux ne se ferait sans engagement à faire toujours davantage, pour répondre aux besoins politiques du moment », imagine le syndicat. En l’état donc, l'UFML-S dit ne pas pouvoir « signer ce texte dangereux pour les médecins et pour les patients ».

Règlement arbitral

La signature de la convention est donc de plus en plus improbable. Avant la réunion de jeudi soir, les syndicats ne cachaient déjà plus leurs doutes. Pour obtenir un accord, la Cnam devra recueillir la signature d’au moins un syndicat représentant au moins 30 % des voix aux dernières élections URPS. En 2021, MG France avait obtenu 36,5 % des votes des généralistes, mais le syndicat ne pourra pas signer seul car il n’est pas représentatif du collège des spécialistes. Côté spécialiste donc c’est Avenir Spé - Le Bloc (40 % aux dernières élections) qui est la seconde clé du vote.

« Nous pensons que, pour les patients comme pour les médecins, ce serait une occasion perdue, si les syndicats ne signaient, a plaidé devant les journalistes, Thomas Fatôme. On aura tout fait et on fera tout pour convaincre, pour présenter un projet conventionnel cohérent et attractif. On nous dit parfois que c’est une convention au rabais, qu’il n’y a pas un euro de dépensé. Or on voit qu’il y a une valorisation financière significative, à la fois en socle et sur l’engagement territorial. »

Faute d’accord, l’arbitre - Annick Morel, ancienne inspectrice générale des affaires sociales - aurait la charge de rédiger un règlement arbitral dans un délai de trois mois. Ce projet sera ensuite soumis à l’exécutif pour publication et aura valeur de convention, valable cinq ans avec une obligation de rouvrir une négociation dans les deux ans.


Source : lequotidiendumedecin.fr