Pr François Dabis (ANRS) : « Notre mission n'est pas terminée »

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Publié le 10/07/2017
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Plusieurs spécialistes du VIH font part de leurs craintes de voir disparaître l'ANRS telle qu'on la connaît actuellement. La forme et la mission de cette agence sont-elles appelées à évoluer ?

Pr FRANÇOIS DABIS : Notre mission n'est pas terminée, et restera la même tant que l'épidémie d'infections par le VIH est présente. Grâce à la recherche, nous trouvons des solutions en matière de prévention et de traitement, mais elles ne sont toujours pas totalement satisfaisantes. Nous continuons à avoir besoin d'une agence capable d'animer et de financer une recherche forte pour avoir les moyens d'en finir avec l'épidémie. Il reste également encore beaucoup à faire dans le domaine des hépatites B et C.

Notre mission est d'autant plus prioritaire qu'à l'international, la recherche dans le domaine des hépatites et celui du VIH, est dans une passe difficile. Nous faisons partie des derniers pays qui ont encore un dispositif actif de grande dimension pour parvenir à résoudre des questions scientifiques. La stratégie européenne, par exemple, est plus difficile à affirmer.

Vous resterez donc une agence autonome de l'INSERM dédiée à ces questions ?

Notre structure actuelle nous permet à la fois d'animer la science et de financer la recherche. Nous ne sommes pas qu'une agence de moyens. Nous aidons à instaurer un creuset de réflexion pour venir à bout des questions de recherche. J'apporterai sans doute des petites évolutions en interne, mais le modèle restera globalement le même.

Notre budget propre est stable depuis des années, autour de 50 millions, ce qui est une bonne chose dans le contexte actuel. On reste le 2e pays au monde en termes de financement de la recherche sur le sida.

De nouvelles maladies infectieuses ou maladies opportunistes pourraient-elles entrer dans le périmètre de l'ANRS ?

C'est une possibilité, mais cela se ferait dans le cadre d'une vision très orientée à l'international. Une dizaine de jours avant ma nomination, le Pr Yazdan Yazdanpanah a été nommé à la tête de l'institut thématique multi-organisme « Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie maladie infectieuse ». Nous avons tout de suite convenu de travailler ensemble. Les collaborations nouées par notre agence depuis plus de 20 ans dans les pays du sud dans le VIH et les hépatites peuvent servir de base pour la recherche sur d'autres maladies infectieuses. On l'a bien vu avec Ebola.

Un point de convergence entre l'infectiologie en général et le VIH, est la compréhension des mécanismes de résistance des agents microbiens, qui peuvent faire l'objet d'efforts de recherche transversale.

En amont du congrès de l'IAS, l'ANRS organise avec l'INCa un forum à l'Institut Curie consacré à la persistance du VIH et au cancer. Est-ce le début d'une nouvelle collaboration ?

L'INCa est dans une situation particulière, puisqu'elle n'a pas vocation à travailler à l'international, sauf au niveau européen. Or dans les pays du sud, l'émergence du cancer soulève un grand nombre de problématiques sur lesquelles l'INCa peut travailler en s'appuyant sur notre expertise dans ces régions. Ce rapprochement entre cancer et VIH fait partie des sujets émergents : on assiste à l'arrivée de la première vague de cancers chez des patients vieillissants traités par des antiviraux et des recherches montrent que les traitements du cancer, les anti PD1 et les anti CTLA-1 peuvent forcer le VIH à sortir de ses réservoirs.

Beaucoup d'Américains seront présents à l'IAS, l'instabilité de l'administration de Donald Trump complique-t-elle vos collaborations internationales ?

Les relations sont toujours très bonnes avec les chercheurs américains, mais nos collègues outre-Atlantique sont inquiets car leurs financements ne sont pas garantis. Dans le Sud, et notamment vis-à-vis du PEPFAR ainsi que du Fonds mondial, nous n'avons pour l'instant aucune idée de la manière dont l'administration Trump va se comporter. Elle n'a donné aucun signal clair en ce qui concerne le maintien du financement de ce programme dont les États Unis sont le premier contributeur. Dans plusieurs pays, comme la Côte d'Ivoire ou le Vietnam, nos actions de recherche s'appuient sur des réseaux de santé publique largement soutenus par ailleurs par les USA.

Le cycle budgétaire américain se déroule d'octobre à septembre, il va donc y avoir rapidement des arbitrages pour l'année prochaine. La décision de Trump de supprimer le financement du planning familial, est gravissime, mais a surtout été symbolique et n'a pas été suivie, pour l'instant, d'autres coupes budgétaires.

Votre prédécesseur s'inquiétait de la part croissante prise par des organisations comme la fondation Gates dans le financement de la recherche contre le sida. Quelle est votre position ?

Très pragmatiquement, la fondation Gates nous a clairement dit qu'ils avaient constitué leur propre agenda de recherche. Si nous nous retrouvons dans une situation ou notre apport financier devait être trop faible dans le montage de partenariats, nous ne serons pas en position d'influencer choix en matière de recherche. L'ancien directeur de l'OMS s'est retrouvé dans cette situation avec les pieds et poings liés parce que la Gates est devenue son plus gros contributeur.

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9596