Entretien

Pr Marion Leboyer, fondation FondaMental : « Les maladies psychiatriques sont les seules maladies dont la prévalence n’a pas diminué ces dernières années »

Publié le 26/10/2015
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Crédit photo : Tijana Feterman

Le QUOTIDEN : Pourquoi la recherche en santé mentale est-elle si peu développée en France ?

Pr MARION LEBOYER : Grande question… Je ne sais pas. Il y a eu une amélioration mais qui reste timide. Depuis sa création en 2007, la Fondation se débat pour booster la recherche, pour donner de la visibilité aux avancées scientifiques, transmettre aux décideurs un certain nombre de chiffres clés… Nous sommes entendus mais l’impulsion politique décisive n’a pas encore été donnée. Aujourd’hui, les maladies psychiatriques sont les seules maladies dont la prévalence n’a pas diminué ces dernières années. Et c’est absurde, car justement, nous sommes à un vrai tournant dans la compréhension de ces pathologies. Les pays européens qui ont investi dans la recherche en santé mentale ont vu le fardeau des maladies mentales diminuer. En France, les résultats de la recherche en psychiatrie sont là et ils sont encourageants, ils ne demandent qu’à être soutenus.

Pourtant, en 2013, le ministère de la Santé s’était engagé à faire des efforts – il a fait de la santé mentale une des 5 priorités de santé publique de la stratégie nationale de santé…

C’est un progrès notable, certes, mais cela demande des traductions concrètes. Les exemples passés nous poussent à la vigilance : il y a eu plusieurs plans ministériels, pour l’autisme ou la santé mentale, sans moyens dédiés à la recherche. C’est très regrettable.

Il est intéressant de regarder ce qui s’est fait à l’étranger, à nos portes. En 2007, en même temps que notre Fondation a été créée par le ministère de l’Enseignement et de la Recherche, un réseau du même type a vu le jour en Espagne, le CIBERSAM. Ce réseau rassemble 20 équipes de recherche – donc bien moins grand que nous – et son financement est reconduit tous les ans de façon conséquente, sur la base de l’évaluation de sa production scientifique. Cette initiative a eu un effet incitatif absolument formidable sur la recherche en psychiatrie espagnole : la position de l’Espagne au niveau européen s’améliore, ce réseau est en train d’augmenter sa productivité, il est à la pointe de certaines innovations thérapeutiques, dont bénéficient d’ores et déjà les patients.

Que demandez-vous exactement ?

Ce qu’on demande, c’est la même politique que ce qui a été mis en place pour le cancer, pour Alzheimer, ou pour les maladies rares… car les maladies mentales sont un enjeu majeur du XXIe siècle. Il ne s’agit pas de faire un chèque en blanc, mais de faire des appels à projets dédiés. Les réseaux qui existent doivent être pérennisés, évalués et financés. Pour dynamiser la recherche en psychiatrie, il faut des bourses pour attirer les jeunes, rendre exploitables les ressources techniques comme les registres existants, aujourd’hui difficiles d’accès et mal connus. Il faut également financer des biobanques, pour que des échantillons biologiques puissent être testés dans différents programmes de recherche. Tout ceci nécessite volontarisme et courage politique.P

Propos recueillis par C.W.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9444