Entretien

Pr Patrick Lévy : l’étude SERVE-HF, retour sur un "tremblement de terre"

Publié le 28/09/2015
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Crédit photo : Francois HENRY

LE QUOTIDIEN : Cette étude démarre il y a huit ans. Racontez-nous le contexte.

Pr PATRICK LÉVY : Les apnées centrales du sommeil interrompent de façon répétée la respiration. Conséquence de l’insuffisance cardiaque (IC), elles l’aggravent. Une hypothèse s’impose : supprimons les apnées et nous allons améliorer la fonction cardiaque. L’ASV entre en scène. Des études réalisées sur des petites séries sont encourageantes : amélioration de l’éjection du ventricule gauche (FEVG), réduction du Brain Natriuretic Factor, amélioration des tests d’effort et de la qualité de vie. Tout converge. Pour démontrer que l’ASV améliore l’IC – et la survie – avec plusieurs dizaines de partenaires européens, nous mettons en place l’étude SERVE-HF.

Et vous démontrez l’inverse !

Oui, la situation est caricaturale. Après avoir suivi 1 325 patients sur 5 ans, nous démontrons exactement l’inverse. Alors que le critère principal de l’étude est conforme aux attentes – à 12 mois l’ASV supprime efficacement les apnées centrales – on constate une surmortalité cardiovasculaire et globale. Ce qui distingue les patients les plus concernés est surtout la gravité de leur pathologie : la surmortalité concerne ceux pressentant les apnées les plus sévères (› 20 % de la nuit passées en respiration périodique et apnée) et dont la FEVG est très abaissée (‹ 30 %). Plus l’IC est forte, plus l’ASV nuit au patient. La surprise est complète.

Que faites-vous alors ?

Nous étions en mai, l’article n’était pas encore publié. Le comité de pilotage a prévenu les autorités de santé. En Europe, États-Unis et Asie du Sud-Est, les patients traités par ASV pour des apnées centrales ont rapidement été désappareillés, dès que leur FEVG est inférieure à 45 %

Comment a réagi la communauté ?

Tout comme les auteurs, les autres ont été surpris et un peu décontenancés. Les mécanismes qui sous-tendent cette aggravation sous ASV restent incompris et c’est perturbant. Enfin, des dizaines de milliers de patients avaient déjà été traités ainsi dans le monde… et on leur apprend que cela peut leur nuire et qu’il faut interrompre ce traitement. C’est un tremblement de terre.

Qu’allez-vous faire maintenant ?

On aimerait comprendre les causes et les mécanismes. Les sous-études parallèles – évolutions des cavités cardiaques en IRM, l’activité sympathique – donneront peut-être des éléments d’explication. Est-ce que la fonction cardiaque est altérée par l’ASV ? Est-ce que la respiration de Cheyne-Stokes est une adaptation à l’IC, par exemple par mise au repos des muscles respiratoires, baisse de l’activité sympathique, modification du volume pulmonaire, l’acidose ?

Mais, en tant que thérapeutes, vous voilà démunis ?

Oui. Les apnées centrales au cours de l’IC n’ont plus que le traitement médicamenteux optimal de l’IC elle-même. Des solutions thérapeutiques utilisées de façon empirique – comme l’oxygénation nocturne – ont un niveau de preuve limité et leurs études ont encore moins de chances de se faire financer, SERVE-HF ayant coûté 50 milions de dollars...

Alors c’est l’impasse ?

Ce travail a apporté une réponse essentielle, il a modifié profondément la pratique clinique, mais il donne peu de solutions pour la suite. Dans ce sens oui, c’est l’impasse. Mais l’étude a été utile. On peut se fonder sur un consensus d’experts et avoir tort. Les experts peuvent se tromper. Moi le premier. Pour être certain, il faut faire des études contrôlées de taille suffisante. C’est une leçon d’humilité.

*Servo-Ventilation for Central Sleep Apnea in Systolic Heart Failure, Cowie et al., N Engl J Med. 2015
Propos recueillis par Aleksandra Bogdanovic-Guillon

Source : Le Quotidien du Médecin: 9436