Entretien avec le chef des urgences de l'hôpital Georges-Pompidou, candidat à la présidentielle

Pr Philippe Juvin : « Je ne peux plus continuer à voir mon pays qui tombe, sans réagir »

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Publié le 03/09/2021
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Anesthésiste-réanimateur et chef des urgences de l'hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), le Pr Philippe Juvin explique les raisons de sa candidature à la primaire de la droite, en vue de l'élection présidentielle. Se présentant comme un « homme de solutions », le maire (LR) de La Garenne-Colombes veut baisser les impôts, s'attaquer à la dégradation des services publics et transférer la santé aux régions. L'ex-eurodéputé déplore la paupérisation de la France et étrille la gestion de crise sanitaire.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Vous avez annoncé votre candidature pour représenter la droite à la présidentielle de 2022. Pourquoi ?

Pr PHILIPPE JUVIN : J’observe depuis des années une paupérisation de la France et des Français, fortement ressentie au niveau des services publics. Prenons l’exemple des gares dont la moitié est délabrée ou des hôpitaux qui, malgré les efforts récents, ne sont plus en état ! Cet appauvrissement est aussi vrai sur le plan de la culture scientifique. La France a raté deux grands virages : les vaccins à ARN messager et le séquençage. La crise sanitaire a été un révélateur de cette faillite. Parallèlement, la classe politique et particulièrement le gouvernement, commente là où il faudrait agir. Moi qui suis un homme de solutions, je ne peux plus continuer à voir mon pays qui tombe, sans réagir.

Vous êtes maire et patron d'un service d'urgences. Si vous faites campagne, renoncerez-vous à ces mandats et fonctions ?

Depuis le 1er septembre, j’ai réduit mon temps hospitalier, le temps de la campagne. Mais je poursuivrai mes deux activités de maire et de médecin qui sont complémentaires. Je pense que cette dualité est l’un des atouts de ma candidature.

Vous n’êtes pas favori. Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous portez une candidature de témoignage ou pour prendre date ?

Ce type de commentaire est extrêmement désobligeant et laisse entendre qu’il faut avoir été ministre il y a quinze ans pour avoir des idées pour la France du 21e siècle. J’ai des expériences de terrain que les autres n’ont pas. Je fais campagne pour mettre sur la table une vision et des propositions pour la France, et non pas pour être ministre de la Santé ! Je ne veux pas que la droite et le centre aient deux candidats à l’élection présidentielle, ce serait suicidaire. Il faut tout faire pour n’avoir qu’un seul candidat. Cela passe par une primaire pour désigner un homme ou une femme ; puis, à la fin de l’année, il faudra s’entendre avec Xavier Bertrand pour avoir un candidat unique.

Justement, quel regard portez-vous sur les autres prétendants à droite ?

Je les connais tous. Michel Barnier, que j’ai croisé au Parlement européen, est un homme de qualité, convaincu que l’avenir de la France passe par l’Europe. Valérie Pécresse est une excellente présidente de région. En tant que maire, j’observe son action quotidienne et je l’apprécie. Éric Ciotti a une analyse très pertinente des questions de sécurité, indispensable au débat. Quant à Xavier Bertrand, qui était un bon ministre de la Santé, il a obtenu des résultats dans sa région en la réindustrialisant ou en luttant contre les phénomènes d’exclusion.

Un médecin dans la course à l’Élysée, ça change quelque chose ? En quoi votre méthode est-elle différente ?

Je pense que le parcours d’un homme est important. Les professionnels de santé ont une connaissance intime de l’humain, ils n’ont pas besoin de sondages pour savoir ce dont souffrent les Français. La formation scientifique propre aux études médicales nous apprend à reconnaître les erreurs, à regarder ce qui se fait ailleurs, à confronter nos points de vue et à écouter les gens dans leur quotidien. Ce sont des qualités que n’ont pas toujours ceux qui nous gouvernent, pétris dans leurs certitudes. En tant que médecin, je n’aurais pas parlé de l’illettrisme des caissières ou tenu ce genre de paroles arrogantes et définitives. Il faut avoir des convictions mais pas des certitudes.

Quel jugement portez-vous sur la gestion de la crise sanitaire par l’exécutif ?  

Je ne lui donne pas la moyenne au vu de nombre d'études publiées sur le sujet. La France n’a protégé ni son économie ni sa population. Elle n’a pas fait les bons choix. Certes, la situation était très atypique et complexe mais d’autres pays ont eu une meilleure stratégie et de meilleurs résultats. C’est le cas de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Vietnam, des provinces atlantiques du Canada qui ont choisi le zéro Covid et où il y a eu beaucoup moins de morts. Et aussi de l'Allemagne et de nombreux pays européens.

Quelles ont été les fautes les plus graves ?

Je dénonce la parole publique descendante, à la fois autoritaire et désorganisée, qui ne crée pas la confiance et l’absence de mea culpa. Sur les vaccins par exemple, Emmanuel Macron a d’abord déclaré en décembre qu’on ne savait pas tout, avant d’exiger de vacciner ; résultat, les gens ne comprennent plus rien. Autre exemple, le testing dans les écoles. En Grande-Bretagne, tous les collégiens et lycéens reçoivent chacun deux autotests par semaine. En France, on a un objectif de 600 000 par semaine, c’est loin de la Grande Bretagne. Pourtant, le gouvernement soutient qu’on teste massivement dans les écoles, ce n’est pas vrai.

Il y a aussi beaucoup d’impréparation. Aux Antilles, 18 mois après le début de l’épidémie, on découvre qu’il n’y a toujours pas suffisamment de lits de réanimation. L’hôpital de Pointe-à-Pitre, partiellement incendié en 2017, n’est toujours pas reconstruit. Il faut être responsable. La parole publique doit être réfléchie, elle ne doit pas être une com’ permanente. La France est devenue une vaste agence de communication où l’on décide avec des slogans. Les mouvements de protestation et d’inquiétude sont encouragés par cette parole publique descendante et arrogante.

Olivier Véran a-t-il été à la hauteur ?

Il a pris ses fonctions dans une situation compliquée mais je pense qu’il est victime d’un système qui le dépasse. Il aurait aimé faire autrement mais il ne pouvait pas car il est face au mur de la technostructure qui l’empêche d’agir. 

Emmanuel Macron a rendu obligatoire la vaccination des soignants, sous peine de sanctions ? Soutenez-vous cette décision ?

Tous les soignants doivent être vaccinés. Mais il y aura une part résiduelle de professionnels qui ne le souhaitent pas. Faut-il pour autant les empêcher de travailler ? Je ne suis pas certain qu’on puisse faire respecter une telle obligation à l’hôpital, si on veut avoir des lits ouverts. Pour avoir des lits ouverts, il faut du personnel. 

Vous vous présentez comme le candidat des services publics. Qu’est-ce que ça veut dire ?

La droite s’est caricaturée dans le passé en jouant le « père Fouettard » des services publics. C’est l’une de ses erreurs majeures. Je veux être le candidat qui s’attaque à la dégradation des services publics et des services au public. C’est un facteur d’égalité territoriale. Pour les moderniser, il faut moins de bureaucratie et plus d’agents au service de la population.

La fonction publique hospitalière par exemple souffre d’une hyperadministration. Le ratio dans les hôpitaux était d’environ un administratif pour un médecin contre un pour trois dans les cliniques, selon une étude de la DREES de 2016. Je propose qu’on redéploie en cinq ans 100 000 postes d’administratifs vers les emplois de soignants. Au total, sur les trois fonctions publiques, ce déploiement concernera 300 000 emplois. Je proposerai aussi un plan de remise à niveau des infrastructures, une autonomie de gestion accrue et la publication systématique d’indicateurs de qualité. Si je suis élu, je redonnerai du muscle, de la modernité et de l'efficacité à la fonction publique.

Quelles sont vos autres priorités ?

J’engagerai plusieurs réformes. D’abord, une baisse massive des impôts de production que supportent les entreprises et qui pèsent lourdement sur la compétitivité et la croissance. Cette réduction bénéficiera en priorité aux sociétés éloignées des grandes métropoles, pour les réindustrialiser. Je redonnerai à la France le goût de l'innovation. Je combattrai l'ignorance, qui gagne partout. Je souhaite aussi transférer de nouveaux pouvoirs aux régions, notamment en matière de santé et de sécurité.

Ce transfert aux collectivités est-il une leçon de la crise sanitaire ? Faut-il supprimer les agences régionales de santé ?

Je crois depuis longtemps à la décentralisation. Les circuits courts de décision sont les plus efficaces ! Les ARS ne doivent pas être supprimées mais transférées totalement – avec leur personnel et leurs moyens – aux conseils régionaux qui les contrôleront politiquement.

Cinq millions de Français sont privés de médecin traitant. Soutenez-vous la régulation à l’installation en libéral pour repeupler les déserts médicaux ?

Non. Aujourd’hui, on manque de médecins. Réguler une pénurie ne marchera pas. Je propose d’augmenter massivement le nombre de médecins à former, a minima un quart de praticiens en plus. Cette mesure n’aura d’effets que dans dix ans c’est pourquoi, en attendant, il faut un plan d’urgence.

Pour la ville, on doit massivement déléguer aux infirmiers le suivi des maladies chroniques pour libérer du temps médical aux généralistes. Le métier d’infirmier de pratique avancée est une excellente idée mais il est embourbé dans des lourdeurs administratives. Je propose aussi de diminuer les charges des généralistes qui doivent parallèlement être épaulés par le renfort de personnels. Et sur les honoraires, je ne veux plus de disparité entre la médecine générale et la médecine spécialisée.

Que faire de la « dette Covid » de la Sécu ?

Le « quoi qu’il en coûte » a permis d’absorber le choc de la crise. Mais la « dette Covid » devra être remboursée de toute façon et elle ne doit pas être l’alibi pour faire passer l’échec d’une politique. Lors du premier confinement, on a beaucoup trop fermé l’économie, contrairement à l’Allemagne.

Au-delà, il faudra sans doute réformer le système de financement de la santé, en accroissant l’autonomie de gestion de tous les acteurs locaux. Surtout, il faut changer de logiciel en considérant la santé comme une filière créatrice de croissance et de richesse et non plus comme une source de dépenses.

Faut-il changer la loi Leonetti-Claeys sur la fin de vie ?

La loi est assez équilibrée. La difficulté que nous avons en pratique est la mise en œuvre des soins palliatifs, en particulier à domicile. C’est le chaînon manquant pour les professionnels les moyens, on n’y est pas encore.

Sur l’Afghanistan, faut-il accueillir tous les réfugiés ?

La France doit protéger tous ceux qui subissent des violences chez eux et particulièrement ceux qui ont servi notre pays. Quand j’étais soldat là-bas, nous sortions en patrouille avec des interprètes qui étaient souvent des médecins afghans. Mais pour pouvoir recevoir toutes les personnes qui le méritent, il faut être strict concernant l’immigration économique. Seulement 4 % des déboutés du droit d’asile retournent dans leur pays d’origine. Je suis favorable à la remise en cause de l’espace Schengen. Dans un Schengen 2, la liberté de circulation des personnes serait possible mais à condition que les pays qui sont dans cet espace aient la même politique sociale et d’immigration.

Et puis, vouloir lutter contre l'immigration illégale sans poser la question de l'Afrique et de sa démographie est une vision à court terme : élu président, je mettrai, dès mai 2021, sur la table du Conseil de l'Union un projet d'accord avec l'Union africaine pour développer massivement les infrastructures en Afrique afin de stabiliser les populations. Parler d'immigration sans évoquer cette question est à l'image des politiques menées depuis des années : petites et sans aucune vision. C'est ça aussi ma méthode : une vision long terme.

Propos recueillis par Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin