Entretien

Pr Régis Aubry : « Ce n’est pas avec une loi qu’on couvrira toutes les problématiques de la fin de vie »

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Publié le 15/06/2015
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Crédit photo : Lucas Morin

LE QUOTIDIEN : Quel bilan tirez-vous des 5 années d’activité de l’ONFV ?

Pr AUBRY : Nous avons éclairé les zones d’ombres autour de la fin de vie. À l’origine de l’ONFV, il y avait le constat d’un manque de données concrètes sur un sujet dont on parle beaucoup, mais de façon tranchée et réductrice. On s’est donc intéressé à la fin de vie des âgés. Notre société concentre ce qu’elle ne veut pas voir dans des lieux où les moyens de l’accompagnement font défaut. On s’est penché sur la précarité : on ne mesurait pas à quel point les progrès de la médecine (chronicisation des maladies) peuvent plonger les personnes dans la pauvreté. Des enquêtes sur la fin de vie en début de vie viennent d’être lancées, tandis qu’une étude dans le champ de la santé mentale débutera en 2016.

Nous sommes satisfaits de ce bilan. Nous le sommes moins de l’usage qui en est fait : on ne voit pas de traduction concrète.

Quel est l’avenir de l’ONFV ?

Aucun texte aujourd’hui ne le dit. Jean Debeaupuis, directeur général de l’offre de soins, nous a laissé entendre qu’un institut national de la fin de vie sera probablement créé d’ici la fin de l’année, en rapprochant l’ONFV et le centre national de ressources soin palliatif (CNDR-SP).

Ses missions pourraient être élargies, en regard de la loi Leonetti-Claeys. On pourrait être chargé de faire une synthèse de l’usage des nouveaux droits ouverts par le texte. Le suivi des politiques d’accompagnement de la fin de vie, de façon interministérielle, pourrait aussi nous revenir.

Nous sommes dans l’attente du maintien des financements : l’ONFV bénéficie au titre des missions d’intérêt général (MIG) de 450 000 euros par an, le CNDR-SP, de 750 000 euros par an.

Une proposition de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement est en débat, tout comme sur la fin de vie. Le gouvernement a promis un plan sur les soins palliatifs. Cela n’est pas suffisant ?

Ce n’est pas parce qu’on aura une loi qu’on couvrira la totalité des problématiques de la fin de vie. Il faut investir politiquement cette question, sans la réduire au médical. Les solidarités autour des plus fragiles, l’accompagnement du vieillissement, ne sont pas que des histoires d’unités de soins palliatifs. Il faut prendre le temps de la discussion autour de notre rapport à la finitude.

Il y aura sûrement bientôt des annonces sur le plan de développement des soins palliatifs qui s’oriente autour de trois axes : réduction des inégalités, intervention au domicile et dans le médico-social, et formation. Ce qui m’intéresse n’est pas tant l’annonce que sa traduction sur le terrain. C’est un changement paradigmatique. J’ai le sentiment qu’on est loin d’une coordination qui prenne en compte les dimensions sociales, sanitaires, médicales, et existentielles.

Quelle est la place du médecin ?

La transversalité et la coordination sont les deux mots clefs. Le médecin de demain devra être formé à contrôler les symptômes mais aussi à appréhender la place de l’autonomie du malade ; à sortir de la médecine pour prendre en compte, avec d’autres, des déterminants non médicaux, et respecter la personne.

Il faudrait une filière universitaire qui englobe la fin de vie, le travail en équipe et l’éthique, fondée plus sur l’analyse des pratiques que l’enseignement magistral. Pour que les professionnels travaillent ensemble, il faut qu’ils apprennent ensemble.

Quel regard portez-vous sur la loi Leonetti-Claeys ?

Tel qu’il est sorti de l’Assemblée nationale, je suis globalement d’accord avec le fond du texte et ses mesures phares (directives anticipées contraignantes, droit à la sédation). Dans la forme, en revanche, la suppression de la définition de l’hydratation et de la nutrition comme des traitements, voulue par les sénateurs en commission, me semble en décalage avec l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Les voir comme des traitements nous oblige à penser la pertinence d’une intervention extérieure médicale quand c’est le seul élément de maintien en vie d’une personne. Autre bémol : tout en la justifiant, je n’écrirais pas que la sédation est un moyen d’empêcher la souffrance d’une personne. Un médicament ne pourra jamais être la réponse à une souffrance qui, au-delà du biomédical, peut être existentielle.

Si cette loi, comme celle de 2005, n’est pas accompagnée d’un plan de communication en direction de la population et d’une formation des médecins, c’est comme si on n’en faisait pas.

Que dire face à la vidéo montrant Vincent Lambert ?

J’ai entendu ici et là des réponses assurées de confrères et je n’ai pas envie de me positionner comme médecin. S’il y a bien des situations où l’incertitude reste centrale ce sont bien ces états végétatifs chroniques : tout dogmatisme, quel quil soit, toute idéologie derrière ces questions est dangereuse. Cela pose la question de la presse. Quel sens y a-t-il à diffuser une vidéo auprès d’un grand public qui ne peut pas savoir ce qu’est un état végétatif chronique ? Les médias doivent informer. Je suis inquiet de voir comment ils peuvent avoir, en santé, un regard déformant, désinformant, frôlant parfois l’instrumentalisation collective.

Propos recueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9420