Soins palliatifs : une école de la dignité pour les futurs soignants

Publié le 01/10/2021
Article réservé aux abonnés
PAR LE Dr JEAN-DANIEL FLAYSAKIER - En présentant le cinquième plan national de soins palliatifs, le ministre de la Santé Olivier Véran a souhaité que ces soins se développent enfin dans notre pays qui connaît un certain retard dans ce domaine, notamment pour permettre aux médecins généralistes de pouvoir participer activement à cette prise en charge. Dans notre société où on parle plutôt d’euthanasie et de suicide assisté, le défi est de taille.

Crédit photo : DR

Il y a quelque chose de frappant dans les cimetières français, ce sont les hauts murs qui les ceignent. Un peu comme si celles et ceux qui reposent derrière ces murs risquaient de s’échapper pour rejoindre Mickael Jackson dans un remake d’un clip de ‘Thriller’.

Les films et les séries télé américaines nous ont depuis longtemps montré, en revanche, des cimetières-parcs sans murs, parcourus d’allées et plantés d’arbres autres que les cyprès.

Cette façon que notre société a de cacher la mort, explique en partie le retard phénoménal que nous connaissons dans le domaine des soins palliatifs.

Trop longtemps, une médecine triomphante, reposant sur des techniques de plus en plus performantes, a refusé de considérer qu’elle pouvait aussi, parfois échouer. Et tel le Tartuffe enjoignant de cacher ce sein qu’il ne saurait voir, les patients en phase terminale ou dont le pronostic était engagé à moyen terme étaient souvent relégués dans des services où la prise en charge de la douleur et des divers symptômes ainsi que l’accompagnement étaient réduits au strict minimum.

On le vit bien d’ailleurs quand en 1992, Bernard Kouchner prit les décisions qui permirent enfin de recourir à la morphine, dramatiquement sous-utilisée jusque-là.

Cette année-là, en 1992, j’eus une extraordinaire opportunité : passer douze jours à Toronto dans une maison appelée ‘Casey House’ pour l’émission ‘Envoyé Spécial’.

Toronto est une ville avec une très importante communauté gay. Le quartier de Cabbagetown était un petit Castro District, bien connu à San Francisco. Une communauté d’environ dix mille personnes. Et à cette époque, la contamination par le virus VIH était souvent perçue comme un arrêt de mort. Il y avait l’AZT et la ddi venait à peine d’arriver sur le marché. Pas encore d’anti-protéases ou d’inhibiteurs non nucléosidiques performant.

Alors la communauté gay, avec l’aide d’une femme, la mère de Casey, tragiquement disparu dans un accident, acheta une magnifique maison qu’elle transforma en ‘hospice’ au sens anglosaxon du mot, c’est-à-dire un lieu de soins palliatifs.

En 1992, 12 jours à la "Casey house" de Toronto

Et là j’ai pu voir comment on accompagnait des hommes jeunes, souvent très atteints physiquement, cachectiques, angoissés. L’un d’eux, catholique pratiquant était terrorisé à l’idée de mourir : « je suis gay, c’est un péché, je vais finir en Enfer », me dit-il un jour, en larmes en prenant ma main.

Cette maison qui fut inaugurée par la princesse Diana était un lieu de vie, pas un lieu de mort. C’était même une ruche où, hormis le personnel soignant, des dizaines de bénévoles officiaient chaque jour et chaque nuit. Souvent des femmes qui avaient perdu un enfant dans un accident et qui avaient été comme « privées » de la mort de leur enfant et venaient ici donner l’amour et la tendresse qu’elles n’avaient pu donner plus tôt. Et, de l’autre côté de la rue, des prostituées surveillaient la terrasse de la maison et avertissaient le personnel si un pensionnaire ne se sentait pas bien !

À cette époque, en France, des médecins comme Renée Sebbag-Lanoé ou Maurice Abiven étaient des précurseurs dans les soins palliatifs, des héros isolés, très isolés.

Depuis, on progresse, heureusement. Mais dans notre pays des personnalités et leurs relais médiatiques ont monopolisé le débat en l’orientant sur l’euthanasie et le suicide assisté. On en parle beaucoup et on en reparlera avec la campagne pour la présidentielle de 2022.

On ne parle malheureusement pas assez des soins palliatifs, on ne montre pas assez cet accompagnement qui prend en charge les aspects physiques et psychiques de la personne dont la vie va se terminer. On oublie trop souvent de dire que des soins bien conduits prolongent la vie de ces patients comme l’ont montré des études dans le cancer du poumon métastatique.

On ne dit pas assez combien ces moments sont intenses humainement, comment des gens se retrouvent, se reparlent, se pardonnent. Des moments où commence le travail de deuil dans une atmosphère apaisée.

Avec un maître-mot : respecter jusqu’au bout la dignité de la personne qui part.

La formation des futurs médecins devrait obligatoirement imposer un passage dans des services de soins palliatifs. Montrer qu’arrêter des traitements actifs ce n’est pas pénaliser le malade. Comprendre qu’une impasse thérapeutique ce n’est pas un abandon.

Comprendre – je me répète, je sais — que le plus important quand on a tout épuisé, c’est de préserver la dignité de ces femmes et de ces hommes.

Exergue : La formation des futurs médecins devrait obligatoirement imposer un passage dans ces services

Dr Jean-Daniel Flaysakier

Source : Le Quotidien du médecin