Régulation des dépenses de santé

Trajectoire pluriannuelle et refonte de l'ONDAM : le big bang ?

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Publié le 07/05/2021
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Le Haut conseil pour l'avenir de l'Assurance-maladie (HCAAM) se positionne en faveur d'une stratégie de programmation à cinq ans du système de santé – objectifs, activités et ressources. Une refonte de l'ONDAM est recommandée. Soucieuses de visibilité budgétaire, les fédérations hospitalières applaudissent. Plus réservés, les syndicats de libéraux jugeront sur pièces.
Olivier Véran avait missionné le Haut conseil pour l'avenir de l'Assurance-maladie afin d'engager une refonte de l'ONDAM dans un cadre pluriannuel

Olivier Véran avait missionné le Haut conseil pour l'avenir de l'Assurance-maladie afin d'engager une refonte de l'ONDAM dans un cadre pluriannuel
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

S'il est suivi d'effet, l'avis du Haut conseil pour l'avenir de l'Assurance-maladie (HCAAM) sur la régulation du système de santé constituerait une petite révolution. À la demande d'Olivier Véran, dans la foulée du Ségur de la santé, l'instance présidée par Anne-Marie Brocas préconise, dans un document d'une vingtaine de pages, une refonte ambitieuse des mécanismes de régulation du système de santé.

Au menu : une programmation stratégique et budgétaire à cinq ans, le lifting de l'objectif national de dépenses d'Assurance-maladie (ONDAM) et la refonte des mécanismes de tarification ! Le HCAAM défend ainsi un « scénario de rupture » qui jetterait aux oubliettes la maîtrise dite « comptable » des dépenses de santé – via diverses enveloppes fermées fixées a priori – devenue la norme depuis le plan Juppé de 1995.

« Il s'agit de passer d'une programmation pluriannuelle incantatoire à une programmation stratégique, qui ne soit pas seulement budgétaire », plante le document. La proposition phare : instaurer une « trajectoire à cinq ans des objectifs, activités et ressources du système de santé », issue d'un vrai débat démocratique et dont les lois de financement de la Sécu (LFSS) seraient la déclinaison. Cette programmation – dans un cadre interministériel – devrait comporter un « volet sur les ressources humaines » (effectifs et répartition, compétences, missions, lieux d'exercice, rémunérations, transferts de tâches, etc.).

Redécoupage de l'ONDAM

Impossible d'envisager ce big bang sans revoir le fonctionnement de l'ONDAM, symbole de la maîtrise budgétaire dans chaque secteur de soins depuis 1996. Ce dernier ne serait plus défini « en fonction de sa soutenabilité pour les dépenses publiques » – estimée entre 2 % et 2,5 % par an – mais élaboré au regard des « moyens nécessaires pour atteindre les objectifs de santé ».

Son découpage serait revu. Exit le saucissonnage par grands offreurs de soins (médecine de ville, hôpital, médico-social), le HCAAM recommande une allocation par destination des soins : premier recours, soins hospitaliers aigus, réadaptation, grand âge, handicap, dépendance et missions d'intérêt général (MIG). Pas question pour autant d'instaurer des objectifs régionaux des dépenses d'assurance-maladie (ORDAM). Le Haut conseil préfère élargir le Fonds d'intervention régional (FIR) des agences régionales de santé (ARS) qu'il suggère de faire passer de 3,8 à 5 milliards d'euros annuels.

Pour faire face aux aléas sans « sacrifier des objectifs de santé ou d'organisation des soins », une provision pluriannuelle serait instaurée. Elle reprendrait le modèle des « réserves prudentielles » existantes mais serait transversale à tous les secteurs.

Et si ce scénario est envisagé, un toilettage des outils de tarification s'impose. Le HCAAM souhaite en effet « rompre le cercle vicieux : dépassement d'enveloppe (ou anticipation de dépassement), baisse des tarifs et impossibilité d'investir, maintien ou accroissement des volumes par les offreurs de soins pour y faire face, dépassement ». Il propose une régulation qui puisse accompagner les orientations stratégiques fixées et suivre l'horizon pluriannuel arrêté. « L'utilisation des tarifs comme outils ex post de gestion budgétaire doit devenir exceptionnelle », préconise l'avis. En clair, les mécanismes de décotes unilatérales, de « rabot » ou d'ajustement automatique des prix sont écartés. Le rapport préfère une action médicalisée sur les volumes de soins et de prescriptions « sur la base des recommandations de bonnes pratiques et d'une organisation des parcours », dans chaque territoire.  

Une étape pour la FHP

Membre du HCAAM et impliquée dans ces travaux, la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) se dit « très contente » de cette feuille de route. « Tous les acteurs étaient convergents sur la nécessité de quitter la maîtrise comptable et d'aller vers un affichage de priorités discutées, traduites dans des financements et évaluées », assure sa déléguée générale Christine Schibler.

Cliniques et hôpitaux militent de longue date pour cette approche pluriannuelle des ressources. Avec un premier succès : en février 2020 déjà, les fédérations avaient obtenu de la ministre de la Santé Agnès Buzyn la signature d'un protocole d'accord sur une hausse garantie des tarifs jusqu'en 2022. Avec ce nouvel avis, « c'est une étape importante pour la transformation du système de santé qui est franchie », veut croire Christine Schibler. De son côté, la Fédération hospitalière de France (FHF), qui réclame de longue date une révision totale de l'ONDAM, ne souhaite pas s'exprimer à ce stade sur les travaux du Haut conseil. Elle attend la publication d'un rapport plus détaillé, notamment sur la mise en œuvre des propositions, prévu pour juin prochain.

Attention au mélange des enveloppes

Du côté des médecins libéraux, les propositions du HCAAM sont accueillies avec prudence. Le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, salue des « avancées » en matière de programmation mais s'inquiète de la mise en réserve systématique d'une partie des crédits. Pour le néphrologue, ce mécanisme pourrait même « se transformer en un dispositif qui pénalise les éventuelles avancées tarifaires de la ville » – le tout sans accompagner les transferts d'activité de l'hôpital vers la ville par des moyens nécessaires. Une inquiétude en partie partagée par son homologue de MG France, le Dr Jacques Battistoni, qui insiste sur « le sous financement spécifique des soins primaires » et dit « appréhender avec vigilance le mélange des enveloppes ».

Cette fongibilité aurait du sens « s'il y avait un véritable partenariat et une dynamique entre la ville et l'hôpital, le public et le privé, abonde le Dr Patrick Gasser président d'Avenir Spé. Aujourd'hui ce n'est pas le cas ». Comme la FHF, le gastro-entérologue attend beaucoup du deuxième rapport. « Le HCAAM a une bonne approche mais il ne va pas jusqu'au bout dans les propositions pour ne pas bousculer certains acteurs. J'attends un rapport final plus musclé. »

Loan Tranthimy et Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin