Le combat pour les trithérapies

1996, année historique

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Publié le 24/03/2016
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Crédit photo : PHANIE

L'année 1996 constitue une rupture en matière thérapeutique. Alors que l'on disposait jusque-là d'inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse et d'analogues nucléosidiques, l'arsenal thérapeutique se complète avec l'arrivée des premiers antiprotéases : le ritonavir l'indinavir et le saquinavir.

« Les antiprotéases ont permis la survie de nos patients les plus atteints, se souvient le Pr Patrick Yéni, ancien chef de pôle Maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Bichat (AP-HP) et actuel président du conseil national du sida et des hépatites virales (CNS). Certains avaient des taux de CD4 inférieurs à 20. Ils ont été transformés par les trithérapies et ont commencé à s'installer dans un profil de maladie chronique. »

Pour autant, l'arrivée des trithérapies en France ne s'est pas faite sans heurt. « Début 1996, la commercialisation des deux premiers antiprotéases : Crixivan et Norvir, a débuté après quelques mois d'ATU. C'est à ce moment-là qu'est monté la rumeur que ces nouveaux traitements ne seraient disponibles que par tirage au sort », raconte le Dr Xavier Copin, médecin spécialiste du VIH qui a travaillé dans les services des Pr Willy Rosenbaum et Jean-François Delfraissy.

L'avis du CNS provoque un tollé

Cette rumeur est rapidement confirmée, si les premiers patients chez qui les inhibiteurs de protéases étaient indiqués n'étaient « que » ceux ayant un déficit immunitaire important : moins de 100 lymphocytes CD4 par mm3, cela représentait tout de même 18 000 personnes en France, dont 14 000 vivaient avec moins de 50 CD4/mm3 et 9 000 avec moins de 20 CD4/mm3, soit bien plus que les quantités de médicaments disponibles.

Le CNS rend donc, le 26 février 1996, un avis qui provoque un tollé : « Si la disponibilité sur le marché américain de ces antiprotéases n'est pas suffisante pour leur importation en France, une solution provisoire à titre exceptionnel devrait être envisagée. »

La solution du CNS consiste en un tirage au sort réalisé dans chaque centre hospitalier d'information et de soins de l'immunodéficience (CISIH) pour distribuer les doses attribuées en fonction de leurs activités respectives. « Ce tirage au sort sera renouvelé chaque fois que des doses supplémentaires seront mises à disposition », précise le CNS.

Le voyage qui a tout changé

Rétrospectivement, le Pr Yéni comprend cette décision : « Les quantités de médicaments disponibles étaient très inférieures aux quantités nécessaires », estime-t-il. Il n'empêche : pour les patients de l'époque, la mesure est comble.

Le 18 mars 1996 les militants de l’association Actions Traitement, dont le Pr Yéni, frappent un grand coup et s'envolent pour New York afin d'acheter à leurs frais les premières trithérapies. « Nous sommes partis à New York, tout un groupe de personnes séropositives, pour sauver notre peau », se souvient Jean-Marc Bithoun, militant d'Actions Traitements. Les malades doivent mentir aux autorités américaines et prétendre ne pas faire partie du même groupe : il était alors interdit aux personnes séropositives de se rendre sur le territoire des États Unis. Sur place, ils sont accueillis par des médecins contactés par le Pr Jacques Leibowitch, de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, qui avait participé aux premiers essais sur la trithérapie et s'était formé à l'immunologie au Bellevue Hospital de New York.

Quelques mois après la retentissante médiatisation de ce voyage, la trithérapie est devenue accessible pour l'ensemble des malades, mais le chemin de croix des patients n'est pas fini. « Les inhibiteurs de protéases, ont une disponibilité très faible, explique le Pr Yéni. Il fallait des doses colossales provoquant diarrhées et nausées. Quand on sait que certaines trithérapies représentaient 15 à 20 comprime en 4 prises il n'est pas étonnant que des problèmes d'observance ont commencé à se poser. »

L'étape suivante a consisté à diminuer les doses d'antiprotéases en couplant le ritonavir avec d'autres inhibiteurs de protéases. « Cette approche n'a pas très bien fonctionné, explique le Pr Yéni mais elle nous a fait comprendre que le ritonavir a un effet booster sur les autres inhibiteurs de protéases, en bloquant leur dégradation. »

Depuis ces temps héroïques, les problèmes d'observance ont été considérablement réduits avec l'arrivée des premières trithérapies en un seul comprimé, à commencer par l'Atripla (favirenz, d’emtricitabine et de fumarate de ténofovir disoproxil, Gilead). De nouveaux défis restent à relever, des comorbidités de la population vieillissant avec le VIH à la lutte contre la stigmatisation… Les combats ne manquent pas.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9482