Une tribune d’Alain Privat et Monique Adolphe

Cellules souches : une annonce scientifiquement injustifiée et politiquement inopportune

Publié le 05/04/2011
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LE 31 MARS, des chercheurs de l’ISTEM (unité mixte INSERM/AFM) ont annoncé avoir réussi à « identifier des mécanismes » de la dystrophie myotonique de Steinert « grâce aux cellules souches embryonnaires humaines » (« le Quotidien » du 1er avril). Cette annonce intervient, comme l’annonce de la naissance du bébé-médicament le jour du vote à l’Assemblée, à la veille de la discussion au Sénat du projet de loi de bioéthique.

L’objectivité scientifique impose de relativiser de telles annonces. Elles enferment les patients, leurs familles, l’opinion publique, les médias et les responsables politiques dans une logique erronée, selon laquelle la recherche sur les maladies génétiques ne pourrait désormais progresser que « grâce aux cellules souches embryonnaires humaines ».

En réalité, toutes les semaines, de nouvelles publications scientifiques prouvent que les cellules pluripotentes induites (iPS) peuvent être – et sont – utilisées par les chercheurs pour la modélisation de pathologies : aujourd’hui, alors que leur découverte ne remonte pas à plus de quatre ans, les iPS ont permis de modéliser un grand nombre de pathologies y compris des maladies de même type que la dystrophie myotonique de Steinert : anémie de Fanconi, syndrome de Rett, ataxie de Friedreich, progeria de Hutchinson Gilford, syndrome de Timothy, syndrome du long QT, et encore plusieurs maladies touchant le développement neuronal. Il en est de même pour le criblage de molécules, autre application utilisant actuellement des cellules souches embryonnaires humaines. Comme pour la modélisation, le criblage de molécules peut se faire de manière aussi efficace et probante avec des cellules iPS, et ceci sans avoir à détruire un embryon.

En effet, pour les obtenir, il suffit de prélever des fibroblastes (cellules de peau) directement sur les patients porteurs de la pathologie, puis de différencier ces cellules en lignées immortelles. C’est au contraire bien plus complexe et bien plus aléatoire de recourir aux cellules souches embryonnaires, pour lesquelles il faut attendre qu’un couple susceptible d’avoir un embryon porteur de la maladie ait réalisé une fécondation in vitro, puis un diagnostic préimplantatoire, pour récupérer ensuite un embryon porteur de la pathologie. On l’utilisera alors pour produire les lignées recherchées. Ce mécanisme complexe conduit d’ailleurs la plupart des équipes à utiliser des lignées déjà existantes, dont de nombreuses études ont montré les dérives chromosomiques et génomiques.

De plus, les iPS sont aussi performantes que les cellules souches embryonnaires pour ces techniques de criblage et de modélisation, mais feront très certainement mieux en raison de la possibilité d’« individualiser » l’étude de la maladie et le screening de molécules. D’ailleurs, dans leur article, Marc Peschanski et ses collaborateurs admettent que « la conversion de cellules somatiques telles que des fibroblastes de peau humains en iPS ouvre de nouvelles possibilités (…) pour modéliser n’importe quelle maladie ».

Finalement, on en vient à se demander pourquoi certains chercheurs s’attardent encore à modéliser des pathologies avec des cellules souches embryonnaires humaines !

Quel peut être alors l’intérêt de faire croire au public que les cellules souches embryonnaires pourront bientôt servir à guérir des maladies, l’INSERM et l’Association française contre les myopathies évoquant dans leur communiqué l’identification de composés pharmacologiques qui sont « potentiellement » utiles à un traitement ?

Autrement dit, on est encore fort éloigné de la thérapeutique ! Alors pourquoi un tel effet d’annonce ?

Force est de conclure que cette annonce a pour seul objet d’obtenir des parlementaires, avec l’assentiment du public et des médias, une autorisation élargie de recherche sur l’embryon.

Les promoteurs de cette recherche ne peuvent pourtant ignorer le retard considérable que la France à déjà pris dans le domaine de la recherche sur les iPS faute d’un financement public adéquat. Nous nous retrouvons dans une situation identique à celle du sang de cordon il y a quelques années, laquelle nous a fait prendre un retard tragique, que nous mettrons un temps considérable à rattraper.

Ce lobbying est incompréhensible sur le plan médical et scientifique, sauf à y voir la nécessité pour certains organismes de justifier auprès de leurs généreux contributeurs les investissements très importants réalisés dans ce domaine de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, recherche qui n’a, en fait, conduit à aucune thérapeutique efficace jusqu’à présent nulle part dans le monde. L’industrie du médicament et celle de la procréation assistée ne sont sans doute pas étrangères non plus à cette véritable « chasse » aux cellules souches embryonnaires humaines.

Cette annonce, intempestive par son calendrier et par sa nature, ne peut s’expliquer que par des préoccupations plus économiques ou idéologiques que scientifiques. Elle est en retard d’une guerre, et représente un danger réel pour l’avenir de la recherche sur les maladies génétiques et leur traitement, en faisant peser sur notre pays un handicap qui risque d’être irréversible.

* Ancien directeur d’unité à l’INSERM, ancien directeur d’études à l’EPHE.

** Ancienne présidente de l’EPHE, ancienne présidente de l’Académie de pharmacie.

° Consulter dans la rubrique « Dossiers » (bioéthique), le mémo du Pr Marc Peschanski adressé aux sénateurs à la veille du nouvel examen du projet de loi.

A. P. et M. A.

Source : Le Quotidien du Médecin: 8938