Depuis l'épidémie de Covid, quelles avancées dans la prise en charge de l'anosmie ?

Par
Publié le 14/04/2023
Article réservé aux abonnés

L'anosmie, considérée comme un signe pathognomonique du Covid au début de l'épidémie, a rappelé l'importance de ce sens souvent négligé qu'est l'olfaction. Malgré la rééducation et les corticoïdes, 10 % des patients restent anosmiques plus de six mois après l'infection. De nouvelles pistes sont étudiées pour y remédier, comme le recours au plasma riche en plaquettes.

Crédit photo : PHANIE

« L'olfaction a été un sens longtemps négligé, que le Covid a mis en exergue », indique au « Quotidien » le Pr Stéphane Hans du service d'ORL de l'hôpital Foch. Les avancées réalisées au cours des trois dernières années et les recherches en cours vont permettre d'améliorer la prise en charge de l'anosmie, quelle qu'en soit sa cause.

« Dès le mois de mars 2020, nous avons vu augmenter de façon exponentielle le nombre de consultations pour anosmie, raconte le Pr Hans. Nous avons alors mis en relation les jeunes ORL au sein de la Yo-Ifos (Young Otolaryngologists of the International Federation of Oto-rhino-laryngological Societies), provenant de dizaines d'hôpitaux européens. » Une première étude européenne sur 417 patients atteints d'une forme non sévère de Covid a ainsi été publiée en avril 2020 : elle a montré que 86 % d'entre eux présentaient des troubles partiels ou complets de l'odorat (1). La même équipe a ensuite réalisé une analyse sur 1 420 patients, parmi lesquels 70,2 % avaient perdu l'odorat (2). Dès le mois de mai, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaissait l'anosmie comme un signe précurseur et pathognomonique de la maladie.

Toutefois, l'arrivée des nouveaux variants a été associée à une moindre prévalence de l'anosmie et à des récupérations plus rapides, la vaccination ayant sans doute joué un rôle, même lorsqu'elle est administrée après l'infection.

Une origine neurologique confirmée à l'IRM

« Rapidement, au cours de la première vague, des analyses de patients ont permis d'écarter la piste inflammatoire au niveau du nez, au profit d'une atteinte neurologique de l'épithélium neuro-olfactif et du bulbe olfactif », explique le Pr Hans, définissant le bulbe olfactif comme le premier relais cérébral des informations olfactives, lui-même connecté aux zones de la mémoire, comme l'hippocampe. « Les études ont aussi montré que l'anosmie concerne surtout des femmes, surtout jeunes, présentant des formes légères de Covid, avec une réaction immunitaire au niveau de l'épithélium olfactif et du bulbe olfactif, alors que les plus âgés, surtout les hommes, présentent des formes plutôt respiratoires », poursuit-il.

Pour mieux comprendre l'origine de l'anosmie, l'équipe de Foch a mené une étude avec le service de radiologie de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches et réalisé des IRM chez une vingtaine d'individus : des patients Covid souffrant ou non d'anosmie ainsi que des témoins. Selon les résultats parus en 2020, tous les patients avec anosmie présentaient des anomalies à l'IRM au niveau du bulbe olfactif (3).

Ces résultats ont été confirmés par les mêmes équipes avec une publication en mars 2022 (4), qui a montré un retour à la normale dès lors que l'odorat était retrouvé. « Cela montre bien que l'anosmie a une origine neurologique et n'est pas liée à une inflammation au niveau du nez », résume le Pr Hans. Un peu plus tard, une équipe de Pasteur a mis en évidence la présence du Sars-CoV-2 au niveau du bulbe olfactif et sa persistance au sein de l’épithélium olfactif dans un modèle de hamster et chez des patients anosmiques (5).

En parallèle, ce neurotropisme du virus a été fortement suspecté du fait des symptômes observés chez certains patients, détaille le médecin : surdité brutale, vertiges, acouphènes, paralysie faciale périphérique, mouvement paradoxal des cordes vocales…

La rééducation en première intention

Chez les patients dont l'anosmie persiste au-delà de 15 jours, la prise en charge repose en premier lieu sur la rééducation. Elle est déjà mise en œuvre pour des anosmies liées à d'autres causes, mais les récents travaux menés dans le Covid ont permis de confirmer sa place de traitement de base et son efficacité. En dehors du Covid, les causes d'anosmie sont multiples : grippe ou autres virus, traumatisme crânien, maladies neurodégénératives, polypose nasosinusienne… La rééducation consiste pour les patients à sentir quatre à cinq odeurs pendant une dizaine de minutes, tous les jours, matin et soir, pendant deux mois.

« Nous utilisons des odeurs différentes et très marquées, comme du chocolat, de l'ananas ou du gazon. Lorsque le patient sent de l'orange par exemple, il doit essayer de se remémorer l'odeur telle qu'il la percevait avant, détaille le Pr Hans. Ce travail de mémoire est très important. »

À noter qu'avant de récupérer complètement, il est fréquent que les patients expérimentent une phase de parosmie, qui se caractérise par une distorsion des odeurs. Par exemple, certains vont sentir une odeur de rose en buvant un café. « De nouvelles connexions neuronales se font. Cette phase peut durer plusieurs semaines, mais elle est plutôt bon signe, elle montre que le système olfactif redémarre », estime le Pr Hans.

La piste prometteuse du PRP

Des études ont par ailleurs montré que les corticoïdes étaient associés à une récupération plus rapide chez certains patients Covid souffrant d'anosmie persistante. Néanmoins, les corticoïdes n'ont pas permis à davantage de patients de récupérer l'odorat, précise le spécialiste.

Malgré la rééducation et les corticoïdes, 10 % des patients restent anosmiques plus de six mois après l'infection. Pour ces patients, une autre piste est envisagée et semble prometteuse : les injections de plasma riche en plaquettes (PRP) autologue, les plaquettes étant des pourvoyeuses importantes de facteurs de croissance. « Une première étude a été menée à Stanford aux États-Unis pour évaluer l'intérêt de cette approche dans le Covid (6) », avance le médecin ORL. Sur les 26 patients inclus ayant une anosmie persistant entre 6 et 12 mois, la moitié ont reçu trois injections de PRP, l'autre un placebo. Les patients traités avaient 12,5 fois plus de chance de récupérer que les autres.

« En Belgique, plus de 350 patients ont reçu une injection dans le cadre d'une étude menée par le Pr Jérôme Lechien, qui travaille aussi à Foch, note-t-il. Les résultats n'ont pas encore été publiés mais les premières données montrent que 80 % des patients récupèrent leur odorat. La question se pose d'une deuxième injection pour les non-répondeurs. »

Un implant olfactif à l'étude

L'implant olfactif pourrait être une solution, à plus long terme, pour ces patients résistant à toutes les approches, même en cas d'anosmie remontant à la première vague du Covid. « Il est développé sur le modèle de l'implant cochléaire qui permet de stimuler l'organe de Corti pour améliorer l'audition des patients atteints de surdité. Le Covid a contribué à réactiver l'intérêt pour cette approche, avec plusieurs équipes dans le monde, et notamment une française, qui travaillent dessus actuellement, indique l'ORL. Les premiers résultats chez l'animal sont intéressants. »

Cette persistance de l'anosmie et les échecs thérapeutiques ne sont pas sans conséquences. « Nous orientons certains de nos patients vers des psychologues ou des psychiatres, car l'anosmie peut avoir des répercussions importantes sur leur vie », raconte-t-il, considérant que le Covid aura au moins permis de relancer l'intérêt de la recherche dans ce domaine.

(1) J. Lechien et al, Eur Arch Otorhinolaryngol, 2020. doi: 10.1007/s00405-020-05965-1
(2) J. Lechien et al, J Intern Med. 2020. doi: 10.1111/joim.13089
(3) A. Chetrit et al, J Infect, 2020. doi: 10.1016/j.jinf.2020.07.028
(4) A. Ammar et al, J Neuroradiol, 2022. doi: 10.1016/j.neurad.2022.03.003
(5) G. Dias de Melo et al, Sci Transl Med, 2021. DOI: 10.1126/scitranslmed.abf8396
(6) C. Yan et al, Int Forum Allergy Rhinol, 2022. DOI: 10.1002/alr.23116

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin