Covid-19

Discovery, groupes de travail, Capnet… : comment la recherche thérapeutique française s’est structurée

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Publié le 02/07/2021
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Lors d’une audition publique au Sénat, plusieurs acteurs de la lutte contre le Covid, infectiologues et chercheurs, sont revenus sur la manière dont s’est progressivement organisée la recherche thérapeutique en France.
Dès mars 2020, la volonté d'une recherche à l'échelle européenne a conduit à l'essai Discovery

Dès mars 2020, la volonté d'une recherche à l'échelle européenne a conduit à l'essai Discovery
Crédit photo : Phanie

Comment la recherche s’est-elle structurée pour tenter de faire émerger des stratégies thérapeutiques efficaces contre le SARS-CoV-2 ? Plusieurs experts ont répondu à cette question lors d'une audition publique organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) début juin.

« Dès le mois de janvier 2021, le consortium Reacting a réfléchi à la mise en place d’essais cliniques, à l’hôpital tout d’abord, puis aussi en ville, en thérapeutique et en prophylaxie », raconte le Pr Yazdan Yazdanpanah, chef du service de maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat (AP-HP) et directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales – Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE). Le consortium multidisciplinaire Reacting avait été mis en place par l’Inserm en 2013 pour coordonner la recherche en cas de crise sanitaire liée aux maladies infectieuses émergentes, il a depuis janvier fusionné avec l’ANRS pour former l’ANRS-MIE.

Dispersion des efforts

Dès le mois de mars 2020, la volonté d’une recherche à l’échelle européenne a conduit à l’essai Discovery, qui vise à évaluer des traitements repositionnés. Si aucun des quatre bras de traitement n’a eu d’effet en termes de mortalité, l’essai a permis de lancer une dynamique européenne, après avoir « démarré avec une macrostructure qu’est l’Organisation mondiale de la santé », raconte la Pr Florence Ader, infectiologue à l’hôpital de la Croix-Rousse de Lyon et coordinatrice de Discovery. Pour faciliter la coopération entre pays après des débuts difficiles, le programme EU Response s’est mis en place en juillet, et Discovery en est alors devenu l’un des projets.

Malgré cet essai d’envergure mené par la France, de nombreuses études ont vu le jour lors de la première vague sans priorisation ni concertation, déplore le Pr Yazdanpanah. Et le repositionnement de médicaments a commencé directement chez l’homme, en négligeant les phases précliniques. « On a probablement évalué des traitements qui n’auraient pas dû l’être », constate l’infectiologue. Le Pr Xavier de Lamballerie, directeur de l’Unité des virus émergents à Marseille, estime que la dispersion des efforts a entravé l’inclusion dans les essais susceptibles de produire des résultats robustes.

Ce constat marquant lors de la première vague a rapidement incité à mieux organiser la recherche au sein de Reacting. En septembre, s’est ainsi structuré un groupe de priorisation des traitements pour « classer les molécules en fonction des données disponibles afin de définir les plus encourageantes », explique son coordinateur, le Pr Lionel Piroth, chef du service d’infectiologie de l’hôpital de Dijon.

L’espoir des anticorps monoclonaux

Un groupe d’étude sur la recherche préclinique, créé en octobre et coordonné par le Pr de Lamballerie, a permis d’évaluer une trentaine de molécules et leurs associations au sein de modèles cellulaires et animaux. Pour le virologue marseillais, ce groupe a également révélé « la faiblesse de l’articulation entre recherche préclinique et essais cliniques ». Au final, les molécules antivirales repositionnées se sont révélées plutôt décevantes. Reste encore de l’espoir avec le molnupiravir, une molécule par voie orale engagée dans des essais cliniques.

Dans ce contexte, les anticorps monoclonaux antiviraux tirent leur épingle du jeu. Un groupe de travail coordonné par la Pr Brigitte Autran, chercheuse au Centre d’immunologie et maladies infectieuses de Paris, leur est dédié depuis novembre.
« Les anticorps monoclonaux antiviraux sont issus de cellules de convalescents du Covid et ont été sélectionnés pour leur activité neutralisante extrêmement puissante », rappelle-t-elle. Le groupe de travail a identifié des anticorps actifs sur tous les variants. Ainsi, dans le cadre d’autorisations temporaires d’utilisation (ATU) délivrées en mars 2021, deux bithérapies sont indiquées en phase précoce et sont réservées aux patients à risque de forme grave.

La Pr Autran a salué le partenariat établi, grâce à l’ANRS-MIE, entre la France et AstraZeneca, « qui a certainement le meilleur cocktail d’anticorps monoclonaux actuel actif sur tous les variants connus ». Ce cocktail est étudié dans une nouvelle phase de l’essai Discovery. Les anticorps monoclonaux pourraient par ailleurs avoir un intérêt en prophylaxie.

Selon l’immunologiste, « les anticorps monoclonaux sont une arme stratégique extrêmement importante à développer en France, d’autant qu’il s’agit d’une stratégie applicable à toutes les maladies émergentes infectieuses ».

Fusion des essais en ambulatoire

La recherche ambulatoire s’est aussi structurée progressivement. « Lors de la première vague, huit équipes françaises ont proposé des essais », souligne le Dr Xavier Anglaret, médecin interniste et chercheur au Centre Bordeaux Population Health. À l’été 2020, il a coordonné un groupe de travail sur la recherche ambulatoire : les efforts ont fusionné pour donner lieu à la plateforme nationale Coverage qu’il copilote, afin d’évaluer quatre lignes de traitement.

Malgré des enseignements à valoriser, le Dr Anglaret déplore que seules 500 personnes aient été incluses, au lieu des 1 500 requises : « Nous avions demandé la mise en place d’une plateforme d’appel national pour informer les personnes positives au SARS-CoV-2 des essais en cours, mais nous n’avons pas réussi à l’obtenir ».

En parallèle, est aussi né en octobre le Comité ad hoc de pilotage national des essais thérapeutiques et autres recherches sur le Covid-19 (Capnet), qui vise à prioriser les projets et à délivrer un label de « Priorité nationale de recherche » aux plus prometteurs. Selon le Pr Yazdanpanah, 129 projets ont été évalués jusqu’à fin avril, dont 38 ont été jugés dignes d’intérêt.

« Il faut travailler dans la durée pour faire de la France un pays où se développe la recherche thérapeutique. On a l’expertise, les idées, mais on a des problèmes financiers, réglementaires et structurels. Peut-être qu’il faut prendre plus de risques », a-t-il également avancé, précisant que la recherche thérapeutique et l’innovation sont des axes forts au sein de l’ANRS-MIE.

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin