Fracture sociale face à la greffe de rein

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Publié le 08/06/2016
DIALYSE

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Crédit photo : S. TOUBON

« C'est un signal fort que l'on démontre pour la première fois. » Pour Christian Baudelet, vice-président de l'association de patients Renaloo et sociologue du centre Maurice Halbwachs (ENS), il existe une fracture sociale dans la prise en charge de l'insuffisance rénale terminale en France : les plus aisés, ou plus précisément ceux qui ont un plus haut niveau d'études, ont plus facilement accès à la greffe que ceux ayant niveau d'études plus faible.

Cette inégalité sociale face à la greffe rénale est mise en évidence par un travail produit par la chaire Santé de Science po et des membres de l'association de patients Renaloo, et publié aujourd'hui dans la revue « Population » de l'Institut national d'études démographiques (INED).

Les auteurs se sont appuyés sur deux sources : l'enquête réalisée en 2012 à l'occasion des États généraux du rein à partir de plus de 8 600 questionnaires, et l'enquête transversale Quavi-REIN menée dans le cadre de l'Agence de biomédecine (ABM) par le service d'épidémiologie et d'évaluation clinique du CHU de Nancy auprès de 2 909 patients en insuffisance rénale terminale, dont 1 251 dialysés et 1 658 greffés.

Passe ton bac d'abord

Ainsi, les patients n'ayant pas le bac représentent 72,9 % des personnes sous dialyse non inscrites sur la liste d'attente, 64,5 % des dialysés inscrits et seulement 44,2 % des personnes greffées. Les patients ayant un niveau collège ont 2 fois plus de chance d'être greffés que ceux ayant un niveau primaire, tandis que ceux ayant fait des études supérieures ont 3,42 à 3,76 fois plus de chance d'être greffés que des patients n'ayant pas dépassé le primaire. Questionné sur la part des malades ayant un niveau d'instruction aussi bas, Olivier Gochelot, de la Chaire Santé de Science po, et également auteur de l'étude parue dans « Population » répond qu'il « y a beaucoup de personnes âgées et d'immigrés ayant fait peu d'études en insuffisance rénale terminale ».

Les auteurs envisagent plusieurs explications. La première réside dans l'étiologie des insuffisances rénales : 24 % des patients ayant un niveau d'instruction correspondant au primaire et 18 % de ceux qui n'ont pas dépassé le collège souffraient d'insuffisance rénale causée par d'autres pathologies (diabète ou les atteintes vasculaires) alors que 74 % des patients ayant fait plus de 3 ans d'études supérieures et 70 % de ceux ayant un niveau bac à bac + 3 souffraient de pathologies strictement rénales (glomérulonéphrite, polykystose, maladies tubulo-interstitielles et maladies génétiques) plus éligibles à la greffe.

Préjugés médicaux

« Ces raisons médicales n'expliquent pas tout, explique Christian Baudelet, toutes choses égales par ailleurs, le temps écoulé entre l'entrée du patient en insuffisance rénale terminale et son inscription sur la liste des receveurs en attente d'organe. » Selon Yvanie Caillé membre de Renaloo ayant participé à l'étude, « une fois inscrit sur cette liste, il n'y a plus de discrimination possible, un algorithme choisit les patients en fonction de leurs caractéristiques immunologiques, le temps d'attente et l'aire géographique. L'inégalité se dessine plus tôt, avant l'inscription ».

Le blocage principal se situerait donc au niveau des prescripteurs, qui estiment les chances de survie du greffon des diplômés meilleures que celles des patients plus précaires. « Les patients les plus diplômés ont de plus une meilleure information sur la greffe et ont plus de moyens de couper la file en trouvant un donneur vivant dans leur entourage », estime également Olivier Godechot.

La tentation de la dialyse

Une ultime raison réside dans la forte promotion de la dialyse en France, comme le déplorait le rapport de la Cour des comptes de septembre 2015. Les auteurs pointaient la différence de coût par patient entre la dialyse péritonéale (53 028 euros par an) et de l'hémodialyse (87 036 euros par an) et la greffe (53 273 euros la première année, 13 536 euros pour les suivantes).

La Cour notait que « près de 80 % des honoraires des néphrologues rémunèrent les séances de dialyse, ce qui génère un revenu de près de 6 000 euros par patient et par an pour le praticien présent. Ce dernier n’est donc pas incité à orienter sa patientèle vers les alternatives possibles ». Christian Baudelot souscrit à cette analyse : « Il y a un véritable business autour des dialyses, qui sont réalisées pour un tiers dans des établissements publics, pour un tiers dans des établissements privés à but lucratif et pour un tiers par le monde associatif, explique-t-il, la frontière entre l'associatif et le lucratif n'est, du reste, pas toujours claire. » En France, 73 500 personnes sont atteintes d’insuffisance rénale chronique terminale, dont 41 000 en dialyse et 32 500 transplantées, pour un coût de 3,8 milliards d’euros en 2013.

Les membres du collectif Renaloo préconisent l'inscription de 2 variables sociales dans le registre Rein : le niveau d'études et le code postal, ainsi qu'une révision du rôle des services de néphrologie et une lutte contre la pénurie de rein. Ils plaident notamment pour le développement de la greffe de donneur vivant qui ne représente que 15 % des greffes pratiquées en France.


Source : lequotidiendumedecin.fr