Robin Campillo, réalisateur de « 120 battements par minute »

« Il reste un peu d'Act Up dans le monde du VIH mais il manque toujours une parole politique forte »

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Publié le 04/09/2017
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LE QUOTIDIEN : 120 battements par minute raconte l'irruption des patients sur la scène politique et scientifique. Pourquoi avez-vous choisi cet instant ?

ROBIN CAMPILLO : mon point de vue est celui des gens touchés par l'épidémie. L'ordre des choses est important : l'information brute, des images choc de malades (celle de l'Américain Kenny Ramsaur, dans Paris Match, qu'on voit dans le film) arrivent en France dans les années 1980 avant l'épidémie, repérée aux États-Unis. On comprend que tous les homosexuels et toxicos vont mourir. Que c'est une catastrophe. J'apprends que des amis vont à l'hôpital, mais c'est irréel, cauchemardesque, angoissant. On a des malades sans maladie, pas de médecins, pas de conseils. Et beaucoup de solitude. 

Du coup, il se crée un lien entre les patients potentiels que sont les gays. Un lien désincarné… jusqu'à ce que Didier Lestrade lance Act Up, pour produire de l'action politique et de l'information médicale ensemble. Jusqu'à ce que Daniel Defert propose dans une très belle lettre la création d'Aides, pour que les patients prennent le pouvoir et ne retournent pas « mourir chez maman »*. J'ai trouvé très fort ce message - affirmer l'existence d'une communauté sida qui vit une épidémie que le reste de la société ignore.  

Vous-même avez fait partie d'Act Up et avez notamment siégé à la commission médicale. 

Act Up naît en 1989, j'arrive en 92. Le groupe a déjà des réunions régulières avec l'Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS). Son directeur Jean-Paul Lévy a eu l'intelligence de le convier à tous les rendez-vous après un Zap dans leurs locaux. Act Up met sur pied une commission médicale. Une biologiste est notre référent scientifique.  

Nous assistions à des réunions où des chercheurs, pas toujours cliniciens, nous présentaient des protocoles déjà achevés. L'obsession de Didier Lestrade était de rentrer dans le groupe mythique de l'AC 5, ne serait-ce que pour dire si un protocole était viable (Action coordonné 5, chargé d'assurer l'organisation et le suivi scientifique des essais thérapeutiques dont l'ANRS était le promoteur, NDLR). 

Nous développions aussi la formation via des exposés et la revue « Protocoles » qui recense les essais. On voit dans le film un garçon s'évanouir au cours d'une réunion : c'est arrivé. En commission médicale, nous avions accès à des données scientifiques non destinées aux patients. Cela pouvait être violent. Tous les copains séropos se disaient que les protocoles et traitements sur lesquels ils travaillaient profiteraient à ceux qui arriveraient après. Devenir expert de sa propre maladie était une tentative désespérée. 

Quant à moi, j'ai notamment travaillé sur la tuberculose, assisté à plusieurs réunions à la DGS, participé à la conférence mondiale de 1993 à Berlin. C'était très intéressant. J'ai écrit le film à partir de mes souvenirs très vivaces. Un peu risqué, mais je l'assume. 

Quels étaient les rapports que vous entreteniez avec les médecins ?

Le sida a transformé la relation patient-médecin. Les spécialistes balançaient toutes les informations aux patients, parce qu'il y avait le risque de contaminer autrui. Et puis, l'annonce d'une séropositivité était une si mauvaise nouvelle, qu'il n'y avait plus rien à cacher. Les patients avaient une vraie complicité avec leurs médecins de ville… À Act Up, on se méfiait du paternalisme des médecins (on voulait leur faire comprendre qu'ils étaient un pouvoir, que nous n'avions pas le même rapport à la maladie), mais on a toujours cru en la science. 

J'ai l'impression que cette transparence dans l'information n'a pas été répliquée partout. Ma mère est décédée d'une leucémie. Obtenir des informations fut très compliqué.  

Et la relation avec le laboratoire ?

J'ai mis en scène un laboratoire fictif, à partir de trois entités réelles. Nous étions furieux contre ces structures qui refusaient de livrer des informations alors que nous étions dans l'urgence. Quand Sony sort un jeu et dit qu'il n'y en aura pas pour tout le monde pour créer du besoin, soit. Qu'on le fasse sur des traitements nous paraissait invraisemblable. La scène où Adèle Haenel congédie les responsables d'un laboratoire venus s'expliquer devant les militants sur la question du tirage au sort a vraiment eu lieu. Nous n'avons jamais eu beaucoup de pitié pour les laboratoires, surtout que la question du prix, qui relève de la spéculation, est devenue de plus en plus brutale, comme on le voit aujourd'hui pour l'hépatite C.

Que reste-t-il du combat d'Act Up ?

Dans le monde du VIH, la parole des patients est mieux entendue. Des progrès sont apparus, comme la possibilité d'une charge virale indétectable (on n'y aurait pas cru en 1993 !), le traitement prophylactique… Mais 35 ans après le début de l'épidémie, les mentalités bougent peu ; il manque une parole politique importante et de l'argent pour arriver au contrôle de l'épidémie. L'absence du président Macron à l'ouverture de l'IAS est hallucinante. 

Il faut aussi prendre en charge les minorités touchées par l'épidémie, arrêter la chasse à l'homme contre les migrants, les prostitué(e)s, les toxicos. Des tabous demeurent, comme l'euthanasie. On manque de pragmatisme en santé publique. On assiste même à un retour en arrière. Act Up a touché une communauté, avec une forte capacité de mobilisation. Mais c'est une exception. La règle est la dispersion des solitudes face à la maladie. 

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* « Il y a urgence à penser nos formes d'action jusqu'à la mort, ce que les hétéros ont institutionnalisé depuis longtemps. Je ne retournerai pas mourir chez maman. (...) Face à une urgence médicale certaine et une crise morale qui est une crise d'identité, je propose un lieu de réflexion, de solidarité et de transformation », Daniel Defert, le 29/09/1984. 

Propos reccueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9598