Human Brain Project

La modélisation du cerveau humain pour 2023

Publié le 31/05/2011
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Crédit photo : DR

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Crédit photo : V. EL KOUBY/M. PERRIN/C. POUPON/J.-F. MANGIN

C’EST À NEUROSPIN, le centre de neuroimagerie en champ intense du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qu’Henry Markram, coordinateur du Human Brain Project, en a présenté les enjeux. Comprendre le cerveau humain « est un défi pour l’humanité », indique le neurobiologiste, qui a fondé, en 2002, l’Institut du cerveau et de l’intelligence à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Cet immense chantier, d’ampleur internationale, devrait aboutir en 2023 à créer, grâce à un surperordinateur, un modèle informatique capable de simuler le cerveau humain avec de multiples retombées aussi bien en médecine qu’en robotique. Les chercheurs espèrent développer, à terme, de nouveaux outils diagnostiques et de nouveaux traitements, en particulier pharmacologiques, pour certaines maladies neurologiques ou psychiatriques.

« Il faut aller vite et trouver de nouvelles solutions pour soigner toutes ces maladies » qui ne vont cesser de croître avec le vieillissement de la population, poursuit Henry Markram. Dans le handicap, de nouvelles technologies prothétiques pourraient être envisagées. « Il est temps d’adopter une approche globale et multidisciplinaire », plaide le chercheur, qui a déjà lancé, en 2005, le Blue Brain Project, première tentative de simulation des circuits neuronaux sur le cerveau du rat. Le Human Brain Project (HBP) associe les meilleurs spécialistes européens et internationaux en sciences cognitives, neurosciences, biologie moléculaire, médecine, physique, mathématiques, informatique et éthique. Toutes les informations recueillies, à partir des travaux menés sur les molécules, les cellules et les circuits cérébraux, seront centralisées dans de grandes bases de données qui permettront d’obtenir des simulations biologiquement détaillées du cerveau humain. « Nous devons rassembler les pièces du puzzle », souhaite Henry Markram, pour éviter notamment la redondance des études. L’ampleur et la complexité des modélisations suppose de créer des logiciels informatiques ad hoc, de type supercalculateurs. Des puces neuromorphiques seront également conçues.

Dirigé par l’École de Lausanne, le projet est piloté par plusieurs laboratoires européens, dont l’unité de recherche CEA-INSERM de neuroimagerie cognitive, à Neurospin. À sa tête, Stanislas Dehaene cherche à élucider les bases neurales des fonctions cognitives chez les sujets sains et les patients en s’appuyant sur les moyens d’IRM à très haut champ magnétique. Ses travaux, avec ceux de Ghislaine Dehaene sur les enfants atteints de troubles de la coordination motrice d’origine développementale, tels que la dyspraxie, visent notamment à comprendre certaines fonctions particulières à l’espèce humaine, comme le langage. Sur la base de ces connaissances, le HBP pourrait permettre également d’établir de nouvelles méthodes éducatives. « Il s’agit d’un projet futuriste, mais en réalité, il est le fruit d’une réflexion de long terme », précise Stanislas Dehaene, qui avoue avoir été fasciné par la lecture de « l’Homme neuronal », écrit en 1983 par Jean-Pierre Changeux. Le neurobiologiste est d’ailleurs étroitement associé au projet, garant de son pilier « éthique et société ».

Retombées bénéfiques.

« Si le Human Brain Project ne présentait pas la perspective de retombées bénéfiques très importantes, je n’y participerai pas », assure celui qui présida, de 1992 à 1998, le Comité consultatif national d’éthique. Cet avant-propos lui permet de n’occulter aucune « des incidences éthiques considérables » que peut engendrer l’exploration de ce nouveau champ de la connaissance humaine. Avec plusieurs autres personnalités étrangères et au sein d’un comité spécifique, le Pr Changeux souhaite entretenir le questionnement moral, sous-tendu par deux principes éthiques de base : celui de l’autonomie et du respect de la personne humaine avec celui de la bienfaisance dans le but d’améliorer les qualités de vie. Selon Jean-Pierre Changeux, cette « révolution dans le savoir humain » pourrait « remettre en cause des conceptions scientifiques mais aussi philosophiques. Le clivage entre sciences biologiques et sciences humaines va progressivement s’abolir », imagine-t-il. L’ultime tentation que pourrait susciter ce projet de simulation du cerveau humain serait de « manipuler des conduites humaines » ou « d’avoir accès au contrôle de la pensée ».

La maîtrise des données neurobiologiques pose d’autres problèmes éthiques que soulève déjà l’émergence des données génétiques, comme celui de la confidentialité. Parmi les exemples que donne Jean-Pierre Changeux, il y a la volonté d’augmenter les capacités cérébrales et humaines. Les parents ne seraient pas les derniers à espérer une telle possibilité pour leur progéniture. A contrario, l’idée de disposer d’une prothèse neurobiologique pour répondre à une situation de handicap constituerait une avancée incontestable. Ce défi du XXIe siècle doit être relevé pour « le bien de l’humanité », souhaite le chercheur qui se qualifie avant tout comme « pasteurien ». Encore faut-il également s’assurer de l’« adéquation et de l’exactitude des modèles du cerveau et de leur simulation ». Les problèmes éthiques ne sont pas forcément négatifs, défend le neurobiologiste. Le fait de les confronter semble même la condition d’impliquer le public et d’obtenir un consentement éclairé.

Comme la lune.

Le Human Brain Project enthousiasme déjà de nombreux chercheurs au niveau international et fédère actuellement 13 universités et institutions de recherche de neuf États européens. Reste la question du financement, qu’Henry Markram souhaite autant privé que publique. L’Union européenne a retenu le HBP parmi cinq autres projets dans le cadre de son programme « Future and Emerging Technologies ». En avril 2012, deux d’entre eux seront retenus avec à la clé, pas moins de 100 millions d’euros par an pendant dix. La conquête du cerveau vaut bien l’investissement, d’autant que, Outre-Atlantique, on fourbit ses armes. À l’occasion du 50e anniversaire du discours historique de John Kennedy, qui lançait, le 25 mai 1961, la conquête de la lune, son neveu Patrick Kennedy annonce le prochain « Moonshot américain », à destination de la planète humaine neuronale (moonshot.org). « Nous ne serons pas en concurrence », veut croire toutefois Henry Markram.

STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8974