« La crise progressive de la recherche hospitalière s'ajoute à la précipitation vers l’abîme de l'hôpital. À quoi bon faire de la recherche alors qu’on n’est plus capable d’apporter les soins de base ? », a alerté la Pr Laurence Zitvogel, oncologue clinicienne et immunologiste des tumeurs (Gustave Roussy), devant l’Académie nationale de médecine qui vient de consacrer un grand colloque à la refondation de la recherche au cœur des CHU.
Les « académiciens » tirent un bilan plutôt sombre de l’état du modèle tricolore, issu de la loi de 1958 lorsque les CHU héritèrent d'une triple mission de soins, de recherche et d'enseignement. Si cette organisation a rendu possible l'essor d'une recherche de très haut niveau, le système s'essouffle à l'heure où l'innovation est au cœur d'une bataille mondiale, qui commande des moyens considérables. « La recherche médicale est en recul constant dans notre pays », déplore Arnold Migus, ancien directeur général du CNRS. Depuis 2002, la France est passée de la 5e position à la 10e position en termes de publications scientifiques « avec une glissade continue dans les revues de médecine, nous perdons du terrain ».
Budgets publics en berne
Ce constat s'accompagne d'« un recul spectaculaire du soutien à la recherche en biologie santé en France », relève l’Académie de médecine. Depuis 2008, les crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) pour la recherche médicale sont passés de 3,2 milliards à 2,4 milliards en 2020. Ce sous-investissement public chronique place la part du budget recherche consacré à la santé à 17 % en France. Un taux qui « contraste avec celui de beaucoup de pays voisins consacrant 35 à 40 % de leur budget à cette recherche [biologie-santé], et jusqu’à 50 % pour le Royaume-Uni », évalue l’Académie qui évoque un secteur « pas prioritaire pour les décideurs ». D'autant que seulement 1 à 2 % de ces crédits parviendraient directement aux équipes hospitalières.
Cette carence budgétaire a été cruellement mise en lumière pendant la pandémie, avec l'échec d'un vaccin français. Une étude menée entre janvier et décembre 2020 sur l’investissement en recherche clinique sur les vaccins « place la France en bas du classement » d'une vingtaine de pays, au même niveau que le Chili, et proche de la Turquie ou de l’Égypte, insiste l'ancien DG du CNRS.
Défaut de coordination, absence de masse critique
Pire : la recherche française aurait fait preuve de cafouillage pendant la crise Covid, avec une « cacophonie des appels à projets de recherche et la multiplication anarchique du nombre d’essais cliniques », se désole la rue Bonaparte. Quelque 365 essais cliniques ont été engagés en France, soit presque autant qu’aux États-Unis, ou que la Grande-Bretagne et l’Allemagne réunie ! Le tout « sans aucune chance d’aboutir à des conclusions fiables » à cause d'un nombre trop restreint de patients, ajoutent les sages, qui constatent une absence de stratégie globale et de vision.
Pour redorer le blason de la recherche hospitalière tricolore, l’Académie a publié une série de recommandations. Elle propose d'augmenter et de « réformer les crédits accordés aux CHU pour les moyens de recherche clinique, en les confiant à un conseil d’orientation de la recherche hospitalière selon des critères de qualité scientifique et médicale », résume le Pr Patrick Netter, membre de l’Académie. Un mode de financement inspiré du Royaume-Uni qui permettrait de flécher ces enveloppes. Actuellement, le budget « Mires » versés aux établissements – 1,4 milliard d’euros – « sert surtout à verser des dotations aux directeurs des CHU pour combler les dépenses qui auraient été faites en recherche », tacle Arnold Migus.
Les carrières HU n'attirent plus
À ces lacunes budgétaires s’ajoute « la faillite de l’attractivité des carrières HU, qui entraîne un grand risque de déclin de la médecine universitaire, fleuron de notre organisation médicale », regrette le Pr Francis Michot, PU-PH en chirurgie digestive à Rouen. Il craint que cette situation mette « en péril l’existence même de nos CHU ». Entre 2018 et 2021, 139 hospitalo-universitaires ont démissionné, « 25 d’entre eux pour devenir PH », ajoute le Pr Michot. Comment expliquer cette baisse d’attractivité ? « Défauts de visibilité des critères de recrutement, charge de travail, parcours discriminant pour les femmes, mais aussi une comparaison avec les carrières et les salaires de PH qui ne s’est pas arrangé », illustre encore le Pr Michot, pour qui « les HU sont les grands absents du Ségur de la santé ».
Des pôles plus puissants ?
Pour expliquer le recul français, l’Académie de médecine pointe également les conséquences « d’un émiettement et d’une superposition des structures publiques qui ne font que s’accroître depuis plus d’une vingtaine d’années, chaque nouvelle maladie conduisant à créer en réaction une agence ou structure autonome spécialisée ». L'instance propose – parmi d’autres scenarii – la mise en place « d’un institut qui fédérerait la recherche en biologie santé au côté des organismes déjà existants », explique le Pr Patrick Netter.
Et pour éviter l'éparpillement des forces, les sages proposent au ministère de la Santé d'« identifier un nombre limité de pôles de recherche hospitalo-universitaire centrés sur des CHU disposant d’une visibilité internationale, en leur confiant une responsabilité de tête de réseau régional ». Enfin, pour recruter et fidéliser les hospitalo-universaitaires, l'Académie recommande de « revaloriser la carrière de manière significative en révisant la grille indiciaire dans son ensemble » et d’instaurer une pension de retraite sur l’intégralité de l’activité hospitalière.
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