Un avis du Conseil national du sida

« Le traitement doit avoir une place dans la prévention individuelle »

Publié le 29/04/2009
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Crédit photo : S Toubon

«  IL IMPORTE pour le Conseil, à l’égard de toutes les personnes concernées, au premier rang desquelles les personnes vivant avec le VIH, de promouvoir le partage de l’information et du savoir, considérant qu’elles sont capables d’en apprécier la portée et les limites, et que l’un des fondements d’une société démocratique est l’égal accès à la connaissance.  » Cette remarque du Conseil national du sida (CNS), en forme de préambule à l’avis qu’il publie aujourd’hui, témoigne de l’âpreté des débats qui, depuis plus d’un an, agitent le monde de la lutte contre le VIH/sida, aussi bien au niveau international qu’en France.

La mèche avait été allumée par le Pr Bernard Hirschel (Genève) qui, lors de la Journée mondiale du sida de décembre 2007, avait déclaré : «  Aujourd’hui, nous pouvons dire à un couple dont l’un des partenaires est séropositif traité avec un taux de virus indétectable qu’ils peuvent avoir un enfant sans avoir à s’inquiéter de la contamination du partenaire non infecté  » (« le Quotidien » du 24 janvier 2008). Des propos et une position jugés prématurés mais soutenus par l’Office fédéral de la santé publique suisse qui, deux mois plus tard, publiait des recommandations pour informer les médecins qu’une « personne infectée par le VIH et bénéficiant d’une trithérapie efficace au moins depuis six mois avec une charge virale indétectable ne transmet pas le virus du VIH lors des rapports sexuels ».

Après plus d’un an de réflexion, le CNS affirme aujourd’hui que « le traitement doit avoir une place dans la prévention individuelle ».

Pas de risque zéro.

Toutefois, contrairement à la position suisse, qui considère le risque de transmission comme négligeable, le CNS insiste sur l’existence d’un risque résiduel de transmission. La promotion de l’intérêt du traitement « devra donc s’accompagner d’un clair message de prudence », insiste le CNS. Une étude est en cours pour vérifier l’intérêt du traitement dans la réduction du risque de transmission sexuelle de l’infection à VIH auprès 1 750 couples sérodifférents dans plusieurs pays, dont les résultats sont attendus en 2012. Ses résultats permettront de préciser le niveau de risque au plan individuel mais « pas d’affirmer un risque zéro ». Ils ne permettront pas « de déterminer des critères particuliers d’exposition ni de déterminer un seuil de charge virale plasmatique en dessous duquel le risque de transmission est nul. La question de l’usage possible du traitement pour prévenir la transmission à un niveau individuel se posera toujours en situation d’incertitude », précisent les membres de la commission Traitement et prévention.

Une telle incertitude exige que les personnes sous traitement comme leurs partenaires soient informés de l’existence de ce risque résiduel. Le CNS mise sur la capacité des individus à exercer leur liberté en toute connaissance de cause. Contrairement aux moyens traditionnels - abstinence ou usage systématique du préservatif, techniquement les mêmes pour les personnes non infectées ou pour les personnes porteuses du virus -, le traitement apparaît comme un moyen non comportemental dissocié de l’acte sexuel.

Les membres du CNS insistent : « Ne pas opposer traitement et usage du préservatif et penser leur complémentarité consiste à affirmer que l’usage de l’un n’exclut pas l’autre et que la combinaison des deux apparaît garante d’une sécurité maximisée. » De plus, le préservatif demeure, à condition d’être correctement utilisé, un moyen fiable par lequel chacun peut garder, indépendamment de la connaissance du statut sérologique du partenaire, la maîtrise de la protection de soi comme d’autrui, lors d’une relation sexuelle.

Préservatif ou traitement ? La question ne se pose pas en ces termes mais l’avis souligne que, « à défaut, l’usage d’un seul de ces moyens apparaît toujours préférable à une absence totale de protection. Le traitement peut constituer un instrument précieux pour éviter de nombreuses contaminations chez des personnes qui, de fait, pour de multiples raisons, n’utilisent pas ou pas toujours, ou pas de façon adéquate le préservatif. »

Réduire la prévalence.

D’un point de vue collectif, l’enjeu est aussi de première importance. Malgré les efforts considérables pour prévenir la transmission sexuelle du VIH, l’épidémie reste partout dynamique, y compris dans les pays offrant les meilleurs standards de prise en charge thérapeutique, comme la France. « On ne peut se satisfaire aujourd’hui d’une simple stabilisation du nombre des nouvelles contaminations qui conduit de manière arithmétique à une augmentation du nombre total de personnes contaminées », soulignent les membres de la commission. L’objectif, selon eux, doit être de voir diminuer le nombre de nouvelles contaminations afin d’obtenir à terme une réduction de la prévalence.

Or, une « lecture critique et ordonnée » de la littérature suggère aujourd’hui que les multithérapies antivirales pourraient constituer un outil puissant de contrôle de l’épidémie. Un consensus existe autour de l’idée que les ARV peuvent réduire le risque de transmission à l’échelle d’une population. Dans une étude réalisée en Espagne auprès de 393 couples sérodifférents suivis entre 1991 et 2003, aucune contamination ne s’est produite par exemple quand le partenaire contaminé était sous traitement.

L’enjeu du dépistage.

Efficaces à réduire la transmission VIH, les ARV peuvent-ils avoir un effet sur la dynamique de l’épidémie ? « Seule l’augmentation du nombre de personnes traitées de 50 à 75 % des personnes infectées permettrait de faire baisser le nombre de transmission de l’infection à VIH. Au-dessous du seuil de 50 %, l’effet des traitements restent certes ralentit la croissance du nombre de contaminations mais ne l’inverse pas », suggère là encore un modèle développé par des Canadiens. Un tel modèle jugé coût-efficace conduit à envisager une réorientation des politiques de lutte contre l’épidémie. L’enjeu du dépistage devient crucial. En France, le taux de personnes traitées avec succès rapporté à l’ensemble des personnes infectées est seulement de 46 % en dépit des très bons résultats thérapeutiques (succès virologique chez 85 % chez des personnes traitées) du fait d’un retard au dépistage fréquent (33 % des découvertes de séropositivité).

Les recommandations du CNS insistent sur l’enjeu crucial du dépistage. Se faire dépister et traiter n’est plus seulement un enjeu individuel, il est également collectif. L’incitation au dépistage doit être plus systématique, sans toutefois tomber dans la dérive hygiéniste. Le Conseil préconise par ailleurs que la communication sur l’intérêt du dépistage et du traitement soit profondément renouvelé, en rupture avec une communication jusqu’ici implicitement axée sur les inconvénients du traitement (lourdeur, effets secondaires) pour «  faire comprendre au grand public l’intérêt que la connaissance du statut sérologique et à banaliser le recours au dépistage comme un acte courant du suivi de santé », relève-t-il.

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : lequotidiendumedecin.fr