Le Pr Patrick Lévy récompensé à l’ERS

Retour sur 25 ans de travaux sur l’apnée du sommeil

Publié le 14/10/2013
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LE QUOTIDIEN - Lors de la remise du prix, votre conférence était intitulée : Apnées obstructives du sommeil, un modèle de maladie systémique. Pourquoi ce rapprochement ?

PR PATRICK LÉVY - Cela fait 25 ans que je m’intéresse à l’hypoxie et aux apnées. Le déclencheur a sûrement été la rencontre en 1987-88 au CHU de Grenoble avec le Pr Christian Guilleminault de l’École de médecine de Stanford, qui a défini le cadre nosologique du syndrome de l’apnée du sommeil dans les années 1970. J’ai ainsi réalisé à quel point la recherche sur ce sujet pouvait rapidement être transférée à la clinique. Et c’est ce qui a motivé l’engagement Grenoblois. En 2001, nos travaux avaient déjà beaucoup progressé en particulier sur le plan de la recherche clinique, et nous avons créé à l’UJF le laboratoire HP2 dédié à l’apnée, devenu en 2004 une équipe Université Région INSERM puis une unité mixte UJF INSERM. Notre intuition nous a poussés vers une approche multi-modèles – pas toujours bien comprise, d’ailleurs ! – avec des recherches depuis la signalisation cellulaire en réponse au stress hypoxique, en passant par des modèles animaux, notamment avec un modèle d’hypoxie intermittente du rongeur, à l’humain, sain et pathologique. Nous avons de cette manière démontré comment les apnées surviennent et affectent l’ensemble de l’organisme de manière chronique. Ainsi, la causalité dans l’HTA est aujourd’hui quasi acquise, même si la comorbidité et le surpoids contribuent évidemment aux conséquences cardiovasculaires.

Vos recherches débouchent donc sur une mise en œuvre en clinique ?

En effet, les marqueurs infra-cliniques cardio-vasculaires et respiratoires que nous avons étudiés – fonction endothéliale, pression artérielle des 24 heures, compliance vasculaire – font aujourd’hui partie de notre pratique clinique. Le transfert vers la clinique est presque immédiat.

Quel est le traitement de l’apnée du sommeil ?

La Pression positive continue (PPC) est le seul traitement dont l’efficacité soit vraiment établie dans tous les domaines concernés par les apnées (vigilance, cognition, cardio-vasculaire, métabolique). Mais elle doit être utilisée plusieurs heures par nuit. Malheureusement elle ne corrige pas totalement, à elle seule, les effets délétères qui apparaissent au cours de l’évolution de la maladie. Ce n’est pas très satisfaisant. Nous tentons d’aller plus loin. Il faudra probablement combiner les traitements : modifications environnementales – exercice, nutrition, perte de poids – , traitements du stress oxydatif et de l’inflammation (leucotriènes, statines par exemple). En parallèle, nous recherchons des biomarqueurs et nous tentons de mieux comprendre les voies de signalisation notamment grâce à l’utilisation de modèles animaux génétiquement modifiés.

En tant que médecin et président d’une Université, jusqu’où souhaitez-vous porter la médecine grenobloise ?

L’UJF et la Faculté de Médecine à Grenoble vont plutôt bien. L’université a une offre de formation reconnue. Nous poursuivons le projet de l’Université Grenoble Alpes (UGA) d’une grande université de recherche pluridisciplinaire et de formation. L’UGA portera des projets ambitieux notamment dans les champs où les forces scientifiques du site peuvent être très synergiques : les neurosciences et les technologies pour la santé dans le cadre des maladies chroniques et du vieillissement notamment. Cela se retrouve dans l’appel d’offre DHU « régional » en cours, mais aussi des projets d’investissement d’avenir IHU et IDEX à venir en 2014. Ainsi, nous espérons donner plus encore de visibilité au secteur de la santé à Grenoble, notamment en recherche et innovation.

Enfin, quel effet vous a fait ce prix ?

J’en suis, bien entendu, heureux et honoré. Je suis surtout sensible au fait qu’il s’agit d’un des premiers prix d’envergure, sinon le premier, pour les apnées du sommeil au niveau Européen. Il confirme probablement la pertinence des intuitions initiales d’HP2 et valorise nos efforts pour aider les patients. Vouloir traduire rapidement la recherche en soin, cela implique au moins initialement de tester des hypothèses sur de petits groupes de patients bien ciblés. Une des difficultés également a été que les médicaments testés par l’industrie, souvent avec un pilotage scientifique par notre équipe, n’ont pas été positifs. Ainsi, la recherche sur les apnées n’a pas bénéficié de ce « moteur ». Elle est donc d’autant plus méritoire. Enfin, comme l’UJF a beaucoup de chercheurs reconnus, c’est bien que son président ne dépareille pas (rires). Plus sérieusement, l’important c’est l’aventure collective vécue et que cela aide les patients.

 PROPOS RECUEILLIS PAR ALEKSANDRA BOGDANOVIC-GUILLON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9271