Plan de lutte contre le sida revu et corrigé

Un goût d’inachevé

Publié le 22/10/2010
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Crédit photo : AFP

LE PLAN de lutte contre le sida 2010-2014 est toujours en cours d’élaboration. Roselyne Bachelot en a révélé quelques éléments le 6 octobre dernier, notamment ce qui devrait en constituer la mesure phare, la proposition de dépistage systématique à toute la population française de 15 à 70 ans. Une avancée saluée par l’ensemble des acteurs de la lutte contre le sida mais aussi par des personnalités politiques. Pour Valérie Boyer, secrétaire nationale de l’UMP chargée de la santé, avec la généralisation du dépistage « à l’ensemble de la population, en s’appuyant sur le médecin traitant » et la campagne de communication pour inciter à ce dépistage qui doit être lancée d’ici la fin de l’année, « le gouvernement agit en évitant la stigmatisation, de façon réfléchie et constructive et propose des solutions concrètes ».

À quelques jours d’un remaniement ministériel qui pourrait toucher la Santé, les consultations se poursuivent. Dans son avis sur le nouveau projet de plan, le Conseil national du sida prend acte des changements opérés par rapport au texte précédent examiné juste avant l’été : « Le CNS note aujourd’hui avec satisfaction que plusieurs des recommandations émises en juin ont été prises en compte ». Selon le Pr Willy Rozenbaum, son président, « c’est un virage à 180°. On ne peut que s’en féliciter. »

Une absence de cohérence.

Toutefois, le conseil émet un certain nombre de réserves. Il regrette notamment le manque d’articulation entre prévention, dépistage et prise en charge médicale. Cette absence de mise en cohérence « hypothèque les chances de succès de mesures en elles-mêmes pertinentes mais désarticulées », affirme le CNS.

Le plan ne semble pas s’inscrire dans la perspective d’une redéfinition de la politique de lutte contre le sida, comme l’ont préconisé le CNS et les experts. Pour le moins, cette perspective « demeure peu lisible, sinon introuvable dans chacun des volets ».

Concernant l’axe « Prévention, information et éducation pour la santé », le CNS affirme être particulièrement préoccupé de ce que le plan « n’évoque à aucun moment l’enjeu du dépistage et de la connaissance par chacun de son statut sérologique » alors que la nouvelle stratégie « exige de reconstruire le discours préventif autour du sens du recours au dépistage et de l’intérêt de connaître son statut pour maîtriser les outils permettant de protéger sa santé et celle d’autrui ».

De même, le plan ne souligne pas assez l’intérêt d’une prise en charge médicale et d’un accès aux traitements précoces. Quant au dépistage, le CNS regrette que le plan s’en tienne à l’organisation technique de l’élargissement de l’offre. Les besoins de communication auprès du public et des professionnels de santé sont certes évoqués mais cette nouvelle stratégie aurait exigé, selon le CNS, « une redéfinition de l’ensemble de la communication sur la prévention et le traitement ». De plus, la mise en œuvre de cette proposition systématique de test à l’initiative des professionnels de santé, en particulier des généralistes, suppose un effort considérable et soutenu de mobilisation, d’information et de formation. Des enjeux auxquels « les actions prévues par le plan ne répondent que partiellement ».

De la même manière, la prise en charge médicale « accorde peu de place aux conséquences du changement d’échelle attendu en matière de dépistage » et la réflexion autour du traitement précoce à visée avant tout préventive « paraît peu consistante au regard des enjeux et très floue en termes d’actions concrètes ».

À cet égard, le CNS, qui se félicite de la « clarification des objectifs généraux » pour les cinq prochaines années (voir encadré), souligne l’absence parmi les indicateurs d’efficacité du plan, de deux objectifs qui lui paraissent essentiels : la diminution du nombre de personnes infectées ignorant leur infection et l’augmentation du taux moyen de CD4 au moment du diagnostic. « Si l’objectif est d’élargir le dépistage, un indicateur intermédiaire comme l’augmentation de 10 % des tests de dépistage en un an aurait au moins pu être défini. Or ni cet indicateur intermédiaire ni l’indicateur final ne sont pas précisés », fait remarquer le Pr Rozenbaum.

Prévention combinée mal comprise.

Le CNS relève aussi des contradictions dans le texte, notamment entre promotion d’une prévention combinée et réaffirmation du préservatif comme la norme. L’introduction de la notion de prévention combinée semble reposer « sur un malentendu conceptuel », note le conseil. « Le texte reprend en permanence le discours classique affirmant que le préservatif est le socle de la prévention. C’est contradictoire avec les principes de la prévention combinée qui propose une palette d’outils, en fonction de la situation de chacun sans en privilégier aucun », explique le Pr Rozenbaum.

Une autre contradiction inquiète le CNS, celle observée entre les objectifs de santé publique développés dans le plan et les politiques publiques de sécurité et de maîtrise des flux migratoires. Le conseil évoque, à ce propos, l’amendement déposé au nom du gouvernement visant à exclure de la délivrance de plein droit d’un titre de séjour temporaire pour raisons médicales, les étrangers gravement malades. « En 2009, 29 584 personnes étrangères ont bénéficié d’une carte de séjour pour raison médicale, soit 0,8 % des étrangers résidant en France en situation régulière. Parmi ces derniers, plus de 5 000 étrangers vivant avec le VIH et qui bénéficient, à ce titre, d’une carte de séjour pour raisons médicales sont aujourd’hui concernés par la remise en cause législative », rappelle le conseil. La contradiction vaut aussi pour les actions en direction des usagers de drogues. « Dans l’état actuel de la législation française, l’augmentation constante, depuis le début des années 2000, des mesures de privation de liberté à l’encontre des usagers de produits stupéfiants ainsi que la forte vulnérabilité sanitaire et sociale qui demeure au sein de la population des usagers de drogues injectables, constituent des entraves indéniables aux mesures de réduction des risques et aux objectifs ambitieux de baisse de la prévalence et de l’incidence du VIH/sida et des hépatites », est-il relevé

En conclusion, le Pr Willy Rozenbaum donne son sentiment sur ce plan dont la date de lancement reste encore indécise : « Ce plan a un petit peu un goût d’inachevé. Nous nous félicitons des intentions mais nous nous interrogeons sur les déclinaisons opérationnelles qu’il propose. Nous resterons vigilants. »

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8842