Asthme de l'enfant : des études pointent le rôle de la cuisson au gaz dans 12 % des cas, vifs débats aux États-Unis

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Publié le 13/01/2023
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Crédit photo : Garo/Phanie

Deux récentes études, l'une conduite aux États-Unis, la seconde en Europe, mettent en cause la cuisson au gaz dans l'asthme de l'enfant. Des résultats qui font débat, notamment aux États-Unis.

Dans une méta-analyse parue en décembre dans l'« International Journal of Environmental Research and Public Health », les chercheurs du Rocky Mountain Institute (RMI), centre américain de recherche et d'études sur l'énergie, estiment que 12,7 % des cas d'asthme chez les enfants aux États-Unis peuvent être attribués au gaz de cuisine. « L'utilisation d'une cuisinière à gaz, c'est à peu près comme si un fumeur vivait dans votre maison », a déclaré à l'AFP l'auteur principal, Talor Gruenwald.

L'étude s'appuie sur 41 études antérieures, combinées aux données du recensement américain, et fait écho à une recherche australienne de 2018, qui attribuait 12,3 % de l'asthme infantile à ces cuisinières.

Des résultats similaires retrouvés en Europe

Des résultats semblables en Europe ont été dévoilés ce 8 janvier par l'association Respire. En collaboration avec l'Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique appliquée (TNO), l'organisation Clasp et l'Alliance européenne de la santé publique (EPHA) ont réalisé des tests en laboratoire et des simulations informatiques afin d’évaluer les émissions de polluants issues de la cuisson au gaz selon différentes modalités (type de cuisson, conditions de ventilation, etc.). « D'après nos recherches, 12 % des cas d'asthme pédiatrique actuels dans l'Union européenne (plus de 700 000 enfants) pourraient être évités si les cuisinières à gaz étaient retirées du jour au lendemain », soulignent les chercheurs dans leur rapport.

Commandé par les ONG et non publié dans une revue scientifique à comité de lecture, ce rapport conclut que les niveaux de dioxyde d'azote (NO2) dépassent cinq jours sur sept les limites maximales fixées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), soit 25 µg/m3 en extérieur. Et cela dans la plupart des cas de figure (modes et durée de cuisson, ventilation, type de logement, etc.). Selon l'OMS, des concentrations élevées de NO2 dans les logements peuvent entraîner diverses maladies respiratoires.

« Ces chiffres sont un choc ! Avec la crise énergétique actuelle, nous pouvons craindre un impact sanitaire notable sur les cas d’asthme des enfants cet hiver et ces chiffres nous obligent à repenser nos modes de vie et de consommation, considère Tony Renucci, directeur général de Respire. C’est pourquoi Respire accompagnera Clasp et l'EPHA dans la réalisation de mesures en conditions réelles dans 40 logements en France, dont les conclusions seront présentées dans un nouveau rapport d’ici à l’été 2023. » Dans le cadre de ce projet, ce sont au total 280 cuisines à travers l'Europe qui vont être étudiées pour confirmer ces résultats modélisés.

Poursuivre les efforts pour réduire les cuissons au bois et au charbon

Aux États-Unis, où environ 35 % des cuisines fonctionnent au gaz (30 % dans l'Union européenne), cette question fait l'objet d'un vif débat depuis plusieurs semaines. Pour le lobby gazier AGA, la méta-analyse américaine « établissant un lien entre la cuisson au gaz naturel et l'asthme n'est pas étayée par des données scientifiques solides ».

Mais pour Rob Jackson de l'Université de Stanford, auteur de recherches sur la pollution au méthane des cuisinières à gaz (même éteintes, via les fuites), ces résultats corroborent « des dizaines d'autres études concluant que respirer la pollution intérieure due au gaz peut déclencher de l'asthme ».

Daniel Pope, professeur de santé publique à l'université de Liverpool au Royaume-Uni, se dit, lui, extrêmement prudent. Le lien entre l'asthme et la pollution des cuisinières à gaz n'a pas encore été définitivement prouvé et des recherches supplémentaires sont nécessaires, estime-t-il. Menant lui-même une étude sur les effets de différents combustibles sur la santé, il juge que cuisiner au gaz a des « effets négligeables par rapport à l'électricité pour tous les aspects de la santé - y compris l'asthme ».

Pour ce professeur, ces publications ne doivent pas détruire les efforts pour inciter les populations à abandonner les cuissons au bois et au charbon, qui seraient à l'origine de 3,2 millions de décès par an dus à la pollution atmosphérique domestique, essentiellement dans les pays en développement. Un point sur lequel converge Brady Seals du Rocky Mountain Institute. « Le gaz est certainement meilleur » que ces autres cuissons, « mais il n'est pas sain » pour autant, estime-t-elle.

Une tournure politique

La question est prise très au sérieux par les autorités américaines : le 9 janvier, membre de l'agence gouvernementale chargée de la sécurité des consommateurs (Consumer Product Safety Commission, CPSC), Richard Trumka Jr, a déclaré qu'un examen sur les nouvelles cuisinières au gaz était en cours. « Toutes les options sont sur la table. Les produits dont la sécurité n'est pas assurée pourront être interdits », a-t-il dit à l'agence de presse Bloomberg News. S'il a ensuite assuré sur Twitter que le CPSC n'allait pas « venir retirer les gazinières de chaque foyer », ses propos ont déclenché de nombreuses réactions, notamment du côté des politiques.

« Les démocrates vont s'en prendre à vos appareils de cuisine, a notamment lancé le sénateur de l'Arkansas, Tom Cotton, sur Twitter. Leur volonté de contrôler le moindre aspect de votre vie n'a pas de limites, y compris la manière dont vous préparez votre petit-déjeuner. »

Face à l'échauffement des esprits, la Maison-Blanche a dû s'exprimer. « Le président (Joe Biden) ne soutient pas une interdiction des cuisinières à gaz », a dit sa porte-parole Karine Jean-Pierre. « Je veux remettre les pendules à l'heure. Contrairement à de récentes informations de presse, je ne cherche pas à interdire les cuisinières à gaz », a de son côté écrit le chef de la CPSC Alexander Hoehn-Saric.

C. C. avec AFP

Source : lequotidiendumedecin.fr