Cancer : la perception des risques encore minée par les idées fausses et les inégalités sociales, selon le baromètre Inca/SPF

Par
Publié le 30/01/2023
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : Burger/Phanie

Face au cancer, les Français sous-estiment encore certains facteurs de risque ; notamment les personnes les plus vulnérables sur le plan socio-culturel, met en évidence le 4e baromètre de l'Institut national du cancer (Inca) et de Santé publique France (SPF), rendu public ce 30 janvier en amont de la Journée mondiale contre le cancer, le 4 février.

Alors que 40 % des cancers pourraient être évités par des changements de comportement, les agences sanitaires ont souhaité sonder la perception des Français sur ces pathologies qui nous touchent tous, a souligné le Pr Norbert Ifrah, président de l'Inca. Quelque 3,8 millions de personnes vivent avec ou après un cancer (selon des chiffres 2 015) ; 382 000 nouveaux cancers sont diagnostiqués chaque année, tandis que 157 000 personnes en décèdent annuellement. Le baromètre repose sur une enquête Ipsos conduite auprès de 5 000 personnes de 15 à 85 ans, interrogées entre le 22 avril et le 7 août 2021.

UV, manque d'activité physique et obésité sous-estimés

Deux tiers (68 %) des Français estiment courir le risque d'être un jour atteints d'un cancer (contre 71 % en 2015), soit une vulnérabilité perçue importante, même si moins marquée. C'est dans le même pourcentage (68 %) que les 15-85 ans interrogés se déclarent se sentir bien informés sur les risques du cancer. Les Français déclarent un bon niveau d'information pour le tabac (à 93 %), l'alcool (76 %), l'alimentation, qu'ils citent spontanément comme facteurs de risque.

Ils se révèlent plus sensibles que les années précédentes aux facteurs environnementaux, et se sentent notamment mieux au fait des risques liés aux pesticides (+ 20 points, par rapport à 2015), à la pollution de l'air (+ 14 points) et aux expositions professionnelles (+ 8 points) - même si seulement la moitié se disent bien informés. Le sondage révèle aussi une plus grande attention aux facteurs psychologiques, avec une proportion croissante de participants qui citent l'incapacité à exprimer ses émotions, des expériences traumatiques ou le stress de la vie comme facteurs de risque (même si non avérés).

En revanche, des facteurs de risque avérés scientifiquement sont sous-estimés : le manque d'activité physique, l'exposition au soleil sans protection (alors qu'ils se sentent bien informés, à 80 %), le surpoids voire l'obésité, sont cités comme facteurs de risque par moins de 3 % des participants. À l’inverse, l'allaitement maternel n'est pas perçu comme un facteur protecteur par plus des deux tiers des répondants.

Des médecins à impliquer dans l'information

Les professionnels de santé n'apparaissent pas comme une source principale d'information sur le cancer. Ils sont cités par seulement 20 % des participants, loin derrière la télévision (56 %), internet et les réseaux sociaux (37 %) et la presse écrite (32 %). Ceci, alors qu'ils sont considérés comme la source d'information la plus fiable.

Alors que le conseil d'arrêt du tabac par un professionnel de santé augmente le taux d'arrêt à six mois de 70 %, seulement 23 % des fumeurs disent avoir abordé la question avec un professionnel de santé, 15 % à leur initiative, 8 % à celle du soignant.

« Les professionnels de santé doivent délivrer plus systématiquement des messages de prévention. Nous devons leur fournir des outils à intégrer dans leur pratique, même s'ils ont peu de temps pour aborder ces sujets », exhorte le directeur général de l'Inca Thierry Breton, qui compte aussi sur les trois rendez-vous prévention à 25, 45 et 65 ans pour développer la culture de la prévention.

Des idées fausses persistantes

Car en matière de cancer, encore beaucoup d'idées fausses circulent. Et le fossé entre le sentiment d'être bien informé et être réellement informé sur les risques est profond. Alors que les trois quarts des personnes interrogées se sentent bien informés sur les risques liés à l'alcool, seulement la moitié considèrent que boire de l'alcool favorise certainement l'apparition d'un cancer, et près d'un quart pensent que boire un peu de vin diminue ce risque.

Autre méprise : 82 % des personnes considèrent que les risques liés à l'alcool sont les accidents de la route et la violence, et plus d'une personne sur deux pense que le risque d'un cancer n'est lié qu'à de fortes quantités d'alcool, ingérées sur une longue période. « La nocivité de l'alcool sur la santé, et son lien avec le cancer sont méconnus », résume François Beck, directeur de la prévention et de la promotion de la santé à Santé publique France. Pour rappel, la consommation d'alcool serait responsable de 41 000 décès en 2015 dont 16 000 par cancers, et 28 000 nouveaux cas.

Idem pour le tabac premier facteur de risque avec à son compteur, 68 000 nouveaux cas, et 46 000 décès par cancer, les idées fausses ont la vie dure. Si la population - qui compte un quart de fumeurs - a bien conscience de la toxicité du tabac, elle se méprend sur les seuils de toxicité. En particulier, les fumeurs qui ont tendance à minimiser les risques, estimant par exemple que les risques n'apparaissent qu'à partir de 9 cigarettes par jour sur 13 ans, voire pour 21 % d'entre eux, 20 cigarettes quotidiennes (alors que la durée est dangereuse), ou encore que faire du sport nettoie les poumons.

Des inégalités sociales criantes

Enfin, le baromètre reflète de grandes inégalités sociales dans la perception des risques. Les personnes les moins diplômées sont moins nombreuses à percevoir le risque de cancer lié au tabac, celles aux faibles revenus se méprennent sur les seuils de dangerosité. Les personnes qui n'ont pas le bac sont aussi celles qui pensent davantage que les cancers relèvent majoritairement de causes héréditaires.

En matière d'alimentation, troisième facteur de risque de cancer, les personnes sans le bac perçoivent moins bien les aliments protecteurs (-23 points, par rapport aux diplômés) et ceux à éviter (18 points).

Quant aux campagnes de dépistage, ce sont les catégories sociales avec des revenus moyens ou hauts qui sont à jour, que ce soit pour le cancer du sein, du col de l'utérus, ou colorectal…

Seule exception : concernant l'alcool, les personnes avec un haut niveau de revenu se disent bien informées, mais sont plus nombreuses à en boire quotidiennement. « Il ne suffit pas de diffuser l'information. Il faut l'adapter, la cibler », commente François Beck. « L'enjeu est d'aller vers les publics les moins informés, les plus éloignés du système de santé », enchérit le Pr Thierry Breton. « Il nous faut être innovant : l'aller vers ne suffit pas, il faut faire feu de tout bois, mobiliser les entreprises, les collectivités. » Et d'annoncer la création au sein de l'Inca d'un laboratoire de lutte contre les inégalités, une manière de mobiliser la recherche sur de nouveaux types d'intervention.

Une perception négative de la cigarette électronique

Nouveauté dans l'édition 2021 du baromètre, les Français ont été interrogés sur leur vision de la cigarette électronique. Les 3/4 d'entre eux la jugent nocive, 53 % pensent qu'elle l'est autant que la cigarette traditionnelle, voire davantage, et près de 80 % considèrent qu'elle peut provoquer un cancer.

Quelque 7,5 % des répondants utilisent régulièrement la cigarette électronique, en majorité pour arrêter de fumer (pour la moitié), ou pour réduire sa consommation de tabac (pour un tiers). Mais 10 % de non-fumeurs l'ont testé - ce qui indiquerait un effet « porte d'entrée », à confirmer.


Source : lequotidiendumedecin.fr