LA SANTE EN LIBRAIRIE - Un obèse et un médecin

À corps défendant

Publié le 10/10/2011
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ALICE, médecin à l’hôpital qui n’aurait jamais osé révéler que « son métier la ramenait vers l’univers détraqué de son enfance », rencontre un peu par hasard Nestor, l’obèse époux d’une femme dans le coma, le mutique Nestor qui « trimballe son corps comme un cachot ambulant ». Un lien puissant et presque silencieux se noue entre ces deux personnages étouffant dans leur solitude respective. Nestor le lourdaud, exilé politique argentin, immigré déclassé, ancien ophtalmologue dans son pays d’origine, dont le drame familial apparaîtra peu à peu au fil des pages. La jolie, discrète mais tenace Alice, qui sait « qu’une personne valide peut porter en elle l’infirmité de son conjoint » et comprend le sentiment de malaise de ceux qui ne sentent bien nulle part.

La vie de Nestor, confit dans sa souffrance et son armure graisseuse, est rythmée par ses allers et venues à l’hôpital au chevet de sa femme, qu’il n’aime plus, et ses orgies alimentaires solitaires. Le récit retrace la tentative d’approche, laborieuse, tendre et têtue, par Alice, de cet homme qui « mangeait trop, criait en dormant, ne passait pas les portes et ne faisait aucun effort pour se lier ». De cet homme qui s’acharne à ne plus ressembler à rien ni à personne et en qui tout le monde ne voit plus qu’un amas graisseux et répugnant. Alice enfreint la célèbre injonction d’Henri Calet, « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes », et bouscule délicatement mais sûrement Nestor.

Du contact de ces deux solitudes émergent des bribes d’histoires enfouies, des drames anciens et secrets et une sorte de libération réciproque et partagée : Nestor va finir par rendre les armes et Alice va sortir de sa coquille.

Le risque de la caricature n’est pas loin. Pourtant, ce texte n’offre ni happy-end (l’auteur propose d’ailleurs trois épilogues possibles) ni caricature à l’eau de rose de la magie d’une relation entre un malade et un médecin, mais constitue un propos subtil et original sur la marge et les difficultés de communication.

Clara Dupont-Monod, « Nestor rend les armes », Sabine Wespieser éditeur, 150 p., 15 euros.

Dr Caroline Martineau

Source : Le Quotidien du Médecin: 9021