Covid-19 : le confinement individuel des résidents en EHPAD ne peut faire l'objet d'une décision nationale, selon le CCNE et le conseil scientifique

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Publié le 01/04/2020

Crédit photo : S. Toubon

Faudrait-il imposer au niveau national un confinement des résidents en EHPAD dans leur chambre ?

Samedi 28 mars, le ministre de la Santé Olivier Véran demandait « aux EHPAD de se préparer à aller vers un isolement individuel de chaque résident dans les chambres ». Deux jours avant, il avait saisi le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) pour savoir si une décision nationale de confinement préventif de l’ensemble des résidents paraissait justifiée, et le cas échéant, quels garde-fous devraient être prévus par le Gouvernement.

Pas de décision générale et non contextualisée

Prudence et discernement, répond ce 1er avril le CCNE. « Un renforcement des mesures de confinement pour les résidents des EHPAD et des unités de soins longue durée (USLD), voire des mesures de contention pour ceux dont les capacités cognitives ou comportementales sont trop altérées pour qu’ils puissent les comprendre et les respecter, ne saurait être décidé de manière générale et non contextualisée, tant la situation des établissements diffère », écrit la présidente par intérim Karine Lefeuvre, sur la base de la réflexion du groupe de travail* du CCNE, réuni en urgence le 27 mars.

Le CCNE justifie les réserves à l'égard d'un confinement par le souci de la relation humaine. « L'environnement familial ou amical dont les résidents ne peuvent plus momentanément profiter est, pour nombre d’entre eux, le lien qui les rattache au monde extérieur et leur raison essentielle de vivre. Les en priver de manière trop brutale pourrait provoquer une sérieuse altération de leur état de santé de façon irrémédiable et même enlever à certains le désir de vivre » rappelle-t-il, non sans oublier la souffrance qu'un tel confinement est susceptible de provoquer chez les proches.

Décisions transparentes, prises notamment par le médecin coordonnateur

Le comité prône le cas par cas, décidé par le médecin coordonnateur et le directeur de l'établissement, en lien avec les tutelles.

Le CCNE rappelle que toute mesure contraignante restreignant les libertés, doit être nécessairement limitée dans le temps, proportionnée et adéquate aux situations individuelles. Il souligne aussi que l'urgence sanitaire ne saurait autoriser le sacrifice des exigences fondamentales de l'accompagnement et du soin, pas plus que celui du respect de la dignité humaine, qui inclut le droit au maintien d'un lien social.

Concrètement, tout renforcement de mesure de confinement doit être expliqué aux résidents, aux familles et aux proches-aidants, et soumise à contrôle.

Aménager des possibilités de circuler et d'accueillir les proches

Le CCNE suggère d'organiser des secteurs séparés, certains réservés aux résidents testés positivement au Covid-19, d'autres dédiés aux résidents non atteints, qui seraient dépistés régulièrement. Il insiste sur l'importance de préserver un espace de circulation physique, même limité, pour que l'enfermement ne soit pas coercition. Il plaide pour autoriser les visites de proches, lorsqu'ils sont testés négativement, voire pour organiser un accueil des familles sécurisé dans le cadre d'une fin de vie. Le Comité considère que devrait être encouragé le retour des résidents dans les familles quand il s'agit d'un souhait partagé, et moyennant un dépistage. Autant de propositions qui « exigent que des tests soient proposés à grande échelle », auprès des personnels et des résidents, lit-on.

Enfin, le CCNE s'interroge sur la pertinence d'imposer un confinement à des personnes présentant des troubles cognitifs, incapables de saisir la portée de la mesure, et à risque de décompensation psychique. « Faudra-t-il aller jusqu’à contraindre ces personnes en leur appliquant des mesures de contention, physique ou pharmacologique ? » La question doit être posée, et la réponse, élaborée en fonction du contexte et de façon plurielle.

Dans une note datée du 30 mars, le Conseil scientifique (présidée par l'ex président du CCNE Jean-François Delfraissy), se situe sur la même lignée que le CCNE. « Le confinement individuel n’a pas vocation à s’appliquer en toute généralité. La prise en compte des situations locales est ici essentielle » considère-t-il. « Ses effets doivent être mis en balance avec les risques de contamination liés au déplacement des personnels d’une part, et avec des risques psychologiques facteurs de surmortalité ou d’altération de l’état de santé d'autre part », poursuit-il.

« Le ministère de la santé travaille, avec les représentants du secteur, aux principes généraux et aux actions concrètes à mettre en œuvre pour garantir une application éthique des mesures de protection au sein des établissements » a fait savoir Ségur.

*Il regroupe, aux côtés de la docteure en droit Karine Lefeuvre, le psychanalyste François Ansermet, le Pr Régis Aubry, spécialiste des soins palliatifs, la neurologue Sophie Crozier, le juriste Pierre Delmas-Goyon, le philosophe Frédéric Worms, et Pierre-Henri Duée, président de la section technique du CCNE.


Source : lequotidiendumedecin.fr