Dépistage néonatal : l'Institut Imagine milite pour que la France rattrape son retard

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Publié le 10/02/2023
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Crédit photo : S.Toubon

À l'occasion d'une conférence de presse coorganisée par l'AP-HP et l'Institut Imagine, des spécialistes des maladies génétiques rares ont rappelé les bénéfices du dépistage néonatal organisé et plaidé pour son élargissement à de nouvelles pathologies.

Au premier rang des maladies qui pourraient bientôt être dépistées systématiquement à la naissance, figure la drépanocytose. Depuis novembre dernier, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande l'élargissement de son dépistage à l'ensemble des naissances en France. Pour l'instant, le test de dépistage de cette hémoglobinopathie est encore réservé aux familles les plus à risque de transmettre la maladie, c’est-à-dire celles dont les deux parents sont originaires des départements français d’outre-mer, d’Afrique subsaharienne ou du Cap-Vert, d’Afrique du Nord, d’Amérique du Sud, d’Inde, de l’océan Indien, de Madagascar, de l’île Maurice, des Comores, du sud de l’Italie ou du Moyen-Orient. À cette liste s’ajoutent les parents noirs américains.

Des critères qui ne correspondent plus à la société actuelle

Problème : outre les risques de stigmatisation qu'implique une telle sélection, cette stratégie augmente le risque de rater certains diagnostics, à mesure que la société française est de plus en plus mixte. En 2018 l'équipe de chercheurs de l’hôpital Necker Enfants-Malades et de l’hôpital Robert-Debré (AP-HP), sous la coordination de la Pr Marina Cavazzana avait estimé qu'entre le 15 février et le 31 mai 2017, 61 enfants appartenant à la population actuellement ciblée par le dépistage avaient été identifiés comme porteurs d’un syndrome drépanocytaire majeur contre 5 dans la population non ciblée. Cela signifierait que 7,5 % des malades de la région Île-de-France échapperaient au dépistage s'ils suivaient strictement les règles actuelles.

Pour la Pr Cavazzana, « la population francilienne est très mixte et les critères de ciblage ne sont plus adaptés, ce qui le rend complexe de par la difficulté d’identifier les sujets à risque. De plus, des réponses des couples potentiellement à risque sont parfois imprécises. » La Pr Cavazzana cite aussi une enquête menée en France métropolitaine auprès d'hématologues pédiatriques, qui rapporte, sur la période 2005-2017, 24 diagnostics posés à la suite d’infections sévères ou d’occlusions vasculaires. Un des enfants a même été diagnostiqué de façon post mortem après une infection pulmonaire et une méningite à pneumocoque.

Ces cas illustrent les graves conséquences d’un diagnostic retardé, ce qui conduit la Pr Cavazzana à insister sur la nécessité d'un dépistage systématique et non plus ciblé de la drépanocytose en France. « Du fait d’un brassage des populations important, de plus en plus de bébés naissent chaque année avec cette maladie, avec 557 cas dépistés en 2020 contre 412 en 2010, explique-t-elle. Un dépistage à la naissance, fiable à 100 %, est très important car il permet de mettre en place, dès les premières semaines de vie, des mesures préventives, notamment anti-infectieuses à l’égard de complications aiguës potentiellement mortelles à cet âge. »

La Pr Cavazzana fait par ailleurs partie d'un groupe de travail sur les conséquences de l'élargissement du dépistage, qui va entraîner la détection d'un plus grand nombre de personnes hétérozygotes. « Il va falloir mener tout un travail sur le conseil génétique, explique-t-elle. Même s'ils ne sont pas malades, nous ne pouvons pas les laisser sans information. »

De nouvelles pathologies tapent à la porte du dépistage

Depuis le 1er janvier 2023, le dépistage néonatal a été étendu à sept nouvelles maladies en France : trois aminoacidopathies (homocystinurie par déficit en CBS, la leucinose, la tyrosinémie type 1), deux aciduries organiques (l’acidurie glutarique de type 1, l’acidurie isovalérique) et deux déficits en bêta-oxydation (le déficit en 3-hydroxyacyl-coenzyme A, le déficit en captation de la carnitine). Ces nouvelles pathologies s'ajoutent aux six maladies rares déjà dépistées, ainsi que la surdité permanente.

Le Pr Michel Polack, responsable du centre régional de dépistage néonatal d’Île-de-France et chef du service Endocrinologie, gynécologie et diabétologie pédiatrique de l’hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, s’est réjoui de cet élargissement qu'il qualifie « d'excellente nouvelle dans la mesure où il existe pour chacune de ces maladies des traitements simples qui, donnés de manière précoce, évitent des complications parfois sévères et améliorent de façon significative le devenir des patients. »

Un mouvement en marche

Le mouvement ne devrait pas s'arrêter là : « L’intégration de cinq maladies métaboliques supplémentaires sera rediscutée en 2023 », indique Dr Jean-Baptiste Arnoux, pédiatre du service des maladies métaboliques de l'hôpital Necker-Enfants malades et coordonnateur du groupe de travail dépistage au sein de la filière maladies rares G2M.

Dans le même temps, et pour d’autres spécialités pédiatriques, la Haute Autorité de santé a recommandé de manière conditionnelle, en février 2022, une extension du programme de dépistage néonatal pour les déficits immunitaires combinés sévères, tandis qu’une évaluation est en cours pour l’amyotrophie spinale.

« Maintenant, il faut se retrousser les manches pour que ces recommandations soient appliquées, insiste le Pr Stanislas Lyonnet, directeur général de l'Institut Imagine. Nous sommes très en retard sur des pays comme l'Italie (48 maladies dépistées), la Suède, l'Autriche ou même le Texas qui dépistent plus d'une vingtaine de maladies rares à la naissance. »


Source : lequotidiendumedecin.fr