Tiers-payant généralisé

« Destructeur pour la médecine libérale »

Publié le 18/06/2015
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Un risque réel de désengagement progressif de l’État et une montée en charge des complémentaires...

Un risque réel de désengagement progressif de l’État et une montée en charge des complémentaires...
Crédit photo : PHANIE

Les cardiologues libéraux restent plus que jamais opposés au projet de tiers payant généralisé. « Notre inquiétude n’est pas fondée sur une motivation corporatiste. On ne se bat pas pour défendre des privilèges comme voudrait le faire croire le ministère. Nous estimons simplement que ce projet de tiers-payant généralisé est profondément destructeur pour la médecine libérale et pour la qualité de la relation médecin-patient. Et cela risque aussi d’avoir un impact sur le porte-monnaie des patients par l’augmentation des cotisations d’assurances complémentaires », souligne le Dr Éric Perchicot.

« La généralisation du tiers-payant, si elle mise en œuvre, va entraîner de nombreux problèmes techniques qui n’ont pas été appréciés à leur juste mesure. Et cela va occasionner une augmentation des tâches administratives des médecins. Mais le plus important n’est pas là, assure le Dr Perchicot. Notre principale inquiétude porte sur la détérioration de la relation médecin-patient et sur le risque de voir se détériorer la qualité des prises en charge », ajoute-t-il.

Une prestation parmi d’autres

Pour le président du SNSMCV, le paiement direct du médecin par le patient est un pilier de la relation de confiance entre l’un et l’autre. « En France, la population a une liberté de choix de son médecin. Un patient peut changer de praticien à tout moment. Et je pense qu’un fondement de cette relation de confiance repose sur le fait que le patient verse le montant de la consultation au médecin qu’il a choisi, avant bien sûr d’être remboursé par la collectivité. Si on supprime ce paiement direct, ce lien très particulier entre le médecin et son patient va évoluer. On va se diriger vers une médecine perçue comme entièrement gratuite et l’acte médical sera vu comme une prestation parmi d’autres », indique le Dr Perchicot. « Et on peut penser que certaines personnes ne verront aucun problème à ne pas honorer un rendez-vous chez leur médecin, ni à l’annuler ».

Une autre inquiétude, pour le Dr Perchicot, concerne l’évolution du modèle français de protection sociale, avec la place importante occupée par l’assurance-maladie obligatoire et solidaire. « Aujourd’hui, notre système de santé fonctionne sur un principe simple : c’est toute la collectivité qui paye pour que les personnes malades puissent se soigner. Mais à l’avenir, on risque d’assister à une montée en puissance des assurances complémentaires. Et cela de façon insidieuse puisque le patient, ne rémunérant plus directement le médecin, n’aura aucun moyen d’apprécier la part payée par l’assurance-maladie obligatoire et la part complémentaire, d’où un risque réel de désengagement progressif de l’État et une montée en charge des complémentaires santé qui répercuteront les coûts engendrés sur les cotisations de leurs clients ».

La mort annoncée du système libéral

Le Dr Perchicot estime aussi que la mise en œuvre du tiers-payant généralisé risque de signer, à terme, la mort de la médecine libérale. Comme beaucoup de médecins, il renvoie aux déclarations faites par Brigitte Dormont, économiste de la santé et membre du Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon. Interrogée sur l’extension du tiers-payant, elle avait évoqué la « mort annoncée du système libéral qui est une bonne chose ». « Avec ces déclarations, elle a dit tout haut ce que certains pensent tout bas au gouvernement. Si on généralise le tiers-payant, les médecins libéraux vont se retrouver entièrement dans les mains du payeur, en l’occurrence l’assurance-maladie qui pourra imposer ses orientations sur les soins à délivrer aux patients. À terme, le risque est vraiment de voir se constituer un sous-prolétariat médical avec des praticiens qui ne seront plus des libéraux mais ne seront pas non plus des salariés avec tous les avantages et les protections que confère ce statut, par exemple à l’hôpital », indique le Dr Perchicot.

D’après un entretien avec le Dr Éric Perchicot, président du Syndicat national des spécialistes des maladies du cœur et des vaisseaux (SNSMCV).
Antoine Dalat

Source : Bilan spécialiste