Dr Carine Rolland, nouvelle présidente de Médecins du Monde : « Porter les valeurs du soin demande l’engagement de tous »

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Publié le 25/06/2021
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Crédit photo : MDM

Médecin généraliste installée à Nantes, la Dr Carine Rolland a été élue à la présidence de Médecins du Monde (MDM), le 19 juin. Engagée au sein de l’ONG depuis 2009, elle a créé un programme pour les mineurs non accompagnés et est devenue responsable de mission, plaçant au cœur de son engagement la défense de l’accès aux soins pour toutes et tous, sans entrave ni discrimination.

LE QUOTIDIEN : Quelles ambitions entendez-vous porter en tant que présidente de MDM ?

Dr CARINE ROLLAND : Nous sommes dans une période instable et agitée, marquée par la pandémie bien sûr, mais aussi par la fermeture des frontières, par la montée des autoritarismes et du rejet de l’autre, par une extrême concentration des richesses, par une destruction du vivant et le dérèglement climatique. L’ambition est de poursuivre nos programmes dans de nombreux pays pour venir en aide aux plus exclus, aux plus précarisés, qui sont toujours les premières victimes et qui restent entravés dans leur accès aux soins.

Les problèmes sont mondiaux, mais on persiste à regarder ailleurs, à pointer du doigt ceux qui en subissent les conséquences. Les mesures excluantes ne se sont jamais aussi bien portées en Europe. On y sent un glissement, une instrumentalisation politique et médiatique de la figure du migrant, de l’exilé.

Je suis très fière de cette association et de poursuivre la défense des populations discriminées partout dans le monde à travers nos différents programmes pour les urgences et les crises, les réfugiés, les projets en santé environnement. Mais aussi pour l’accès aux droits et aux services de santé sexuelle et reproduction, alors que les femmes sont souvent les premières victimes des crises, conflits et catastrophes naturelles. Ou encore pour la réduction des risques en lien chez les usagers de drogue.

Les opérations que nous menons nous permettent de poser des constats de terrain qui alimentent nos plaidoyers auprès des institutions pour défendre une société inclusive, qui ne laisse pas sur le bord de la route une partie des populations.

Présente sur les cinq continents, l’ONG est aussi très active en France. Quels sont vos constats à cet égard ?

Créée il y a 40 ans, l’association développe des projets en France depuis 30 ans. On fait de l’humanitaire ici et là-bas. Présents dans 15 villes de France et dans les outre-mer, nous portons des plaidoyers forts et MDM se veut un acteur du changement social. Nous portons les problématiques auprès du ministère et revendiquons un accès aux soins pour tous et toutes sans discriminations, sans exclusions, comme nous l'avons fait dans le combat pour la CMU.

Mais, dans une société de plus en plus excluante, nos plaidoyers évoluent. Notre rôle est que nos recommandations fassent bouger les politiques publiques en faveur des populations que l'on accompagne. Là où on se battait pour obtenir des droits, on fait maintenant en sorte que les droits ne reculent pas. On défend par exemple l’AME et la fusion avec la CMU. C’est essentiel pendant cette pandémie : pour faire reculer la circulation d’un virus, il faut que tout le monde sur un même territoire puisse se soigner. On ne peut pas se dire qu’on va donner accès aux moyens de prévention et aux vaccins à une partie seulement de la population et laisser sur le bord de la route des personnes qui ne peuvent pas se soigner. Pour une maladie infectieuse et contagieuse, c’est une évidence.

MDM est également engagé sur la question de la propriété intellectuelle et de l’accès aux médicaments…

Nous sommes en effet très présents sur cette question. Comme souvent, cet engagement est parti de nos opérations de terrain. En l’occurrence, nous nous sommes saisis de la question avec le sofosbuvir, un médicament contre le VHC. Comme nous intervenons auprès des usagers de drogues, on a tout de suite vu qu’il y avait un problème d’accès.

L’engagement était d’abord en faveur de la licence d’office, mais la question est plus large aujourd’hui. Il existe un véritable enjeu autour de la levée des droits de propriété intellectuelle pour permettre un accès équitable aux vaccins contre le Covid. La pandémie n’est pas finie : on le sait tous, il y aura d’autres vagues. Et on ne peut pas couper le monde en deux, avec des pays qui ont les moyens de vacciner leurs populations et le reste du monde. Pour sortir de la pandémie, il faut que l’ensemble de la population mondiale ait accès aux vaccins. Or on en est très loin. Joe Biden a été très courageux en affirmant sa volonté d’avancer là-dessus. D’autres pays, dont la France qui jusque-là s’y opposait, se sont ralliés à cette proposition.

Quel message souhaitez-vous adresser aux médecins ?

Les médecins vivent une période très difficile et font ce qu’ils peuvent. Le Covid n’a fait que mettre un coup de projecteur sur des dysfonctionnements préexistants, sur un système au bord de l’implosion. Notre sécurité sociale, notre système public de santé, nos cabinets de médecins généralistes et notre hôpital public sont en danger depuis longtemps. Les déserts médicaux et le manque de lits existaient avant la crise sanitaire.

Malgré les difficultés, ils restent liés par leur serment d’Hippocrate et soignent sans discriminer. Mais, dans un système saturé, où il n’y a pas de rendez-vous pour tout le monde, la priorité n’est peut-être pas donnée aux personnes éloignées du soin, aux réfugiés… Ce n’est pas de l’idéologie, ces prises en charge prennent du temps.

Porter les valeurs du soin aux autres, au vivant, à l’avenir demande l’engagement de tous. On a besoin que la profession médicale connaisse et soutienne nos combats.

 

Propos recueillis par Elsa Bellanger
MDM

Source : lequotidiendumedecin.fr