« Il existe une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger ». Dans son avis 139 - issu d'une autosaisine -, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) se veut boussole.
Il y indique une direction pour faire évoluer le cadre actuel de la fin de vie en France, en trouvant un juste équilibre entre autonomie et solidarité. Ce travail tout en nuances, qui de surcroît comprend une position dissidente, doit servir de point de départ à la large consultation citoyenne lancée par communiqué de l'Élysée ce 13 septembre. Emmanuel Macron annonce qu'elle sera organisée d'octobre à mars par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), en parallèle de débats en régions et d'un travail parlementaire, dans l'objectif de faire bouger la loi le cas échéant d'ici à la fin 2023.
Le CCNE reconnaît d'abord que le cadre actuel, découlant de quatre lois - en 1999 sur les soins palliatifs, en 2002 sur le droit des malades, en 2005 sur l'obstination déraisonnable (loi Leonetti) et en 2016 sur l'ouverture à de nouveaux droits (loi Leonetti-Claeys) - ne saurait répondre à toutes les situations de fin de vie.
La loi Leonetti-Claeys permet bien aux personnes atteintes d'une affection grave et incurable ayant des souffrances réfractaires, et dont le pronostic vital est engagé à court terme, c'est-à-dire quelques heures ou jours (y compris lors d'une décision d'arrêt des traitements), de demander une sédation profonde et continue jusqu'au décès. Mais les personnes très malades dont le pronostic n'est engagé qu'à moyen terme, quelques semaines voire mois, « ne rencontrent pas de solution adaptée à leur détresse ».
« Il peut s'agir des personnes atteintes d'un cancer, pour lesquelles les thérapeutiques ont pu arrêter la maladie à un stade très évolué, sans la soigner, et qui souffrent des séquelles ; de personnes avec une maladie neurodégénérative (comme la maladie de Charcot), ou encore des situations de vieillissement avec polypathologies », détaille le Pr Régis Aubry, professeur de soins palliatifs.
Des repères éthiques stricts
Dans ces situations, au nom du respect de l'autonomie de la personne, « la possibilité d'un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme », propose le CCNE. Le suicide assisté est l'acte par lequel une personne se donne intentionnellement la mort par le biais d'une substance létale fournie par un tiers.
Dans l'avis, il est précisé que la demande d'aide active à mourir devrait être exprimée par une personne disposant d'une autonomie au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée. La décision de donner suite devrait alors faire l'objet d'une trace écrite argumentée et serait prise par le médecin en charge du patient à l'issue d'une procédure collégiale rassemblant d'autres professionnels de santé.
« Le médecin, entouré des professionnels et des proches, peut témoigner de l'écart entre une demande et l'expression d'une volonté (parfois des pressions internes ou externes peuvent amener à une demande de mourir). Si le médecin, au terme d'une procédure collégiale, dit qu'il y a un faisceau d'arguments pour dire qu'il y a concordance entre les deux, cela pourrait ouvrir au patient l'accès à un produit létal », explicite pour le « Quotidien » le Pr Aubry. Quelles seront les modalités de cet accès ? Et de l'administration ? Y aura-t-il un recours aux associations ? Ces sujets n'ont pas été explorés pour l'heure.
Dissensions sur l'euthanasie
Quant à la question de l'euthanasie - lorsque l'injection létale est faite par le médecin -, le CCNE reste divisé et renvoie la balle au législateur. La question se pose lorsque les patients - toujours au pronostic vital engagé à horizon de moyen terme -, seraient en incapacité physique de s'administrer un produit létal. Leur autoriser l'euthanasie serait, soutiennent certains membres au sein du CCNE, mais aussi de la société, d'une question d'égalité. D'autres considèrent que la loi ne doit pas établir d'exception à l'interdit de donner la mort et souhaitent que les décisions médicales face à des cas exceptionnels soient laissées à l'appréciation du juge.
Dans tous les cas, les professionnels de santé devraient pouvoir bénéficier d'une clause de conscience, accompagnée d'une obligation de référer le patient à un autre praticien, préconise le CCNE. « Il est urgent de prendre le temps de discuter avec les soignants, des soins palliatifs mais aussi des urgences, réanimations. On ne pourra avancer qu'ensemble », a affirmé le Pr Jean-François Delfraissy, estimant que « certains médecins ont évolué sur la question ».
Des soins palliatifs à développer
Le CCNE a délibérément choisi de ne pas explorer les situations des fins de vie en néonatologie, des mineurs ou des personnes ne pouvant plus exprimer leur volonté. En revanche, il fait du renforcement des soins palliatifs un impératif : concrètement, il s'agit de soutenir l'expression anticipée de la volonté, de favoriser le caractère interprofessionnel de la collégialité et d'élargir la sédation continue et profonde au-delà des unités spécialisées. En bref, de faire appliquer les lois existantes. « Il n'y aura de prise en charge humaniste de la fin de vie en France que s’il y a un vrai accompagnement des personnes vulnérables, et davantage de mobilité entre les structures », a souligné Alain Claeys, ancien député PS.
La réserve émise par huit membres du CCNE, dont la neurologue Sophie Crozier, considère même que l'application des dispositifs existants, un réel accès universel aux soins palliatifs et une meilleure recherche sur le sujet (notamment à l'étranger) doivent précéder toute discussion sur une éventuelle évolution de la loi. « Développer une aide active à mourir avant laisse craindre un recours à cette aide par défaut d'un accompagnement adapté. Sans oublier les messages que cela enverrait à la société, aux personnes malades, handicapées ou âgées ou aux soignants », résume Annabel Desgrées du Lou, démographe.
Un débat et le risque de la simplification
Le temps est désormais au débat, plus que jamais nécessaire, selon Jean-François Delfraissy, qui compte sur les espaces éthiques régionaux (Erer) pour le faire vivre dans les territoires et informer les citoyens. « Ceux-ci doivent être entendus, à travers une conjonction d'outils ; le sujet ne peut être du seul ressort politique », a-t-il déclaré.
D’ores et déjà, les principaux acteurs ont réagi à la publication de l'avis du CCNE. « Il propose un nouveau paradigme où, dans certaines situations, l’éthique collective pourrait s’effacer devant la demande individuelle. (...) Les conséquences de ce changement seraient majeures sur l'engagement soignant si la loi leur demandait in fine d'être acteurs de la mise en œuvre d’une forme d’euthanasie ou de suicide médicalement assisté », commente la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), indiquant lancer sa propre réflexion éthique.
À front renversé, l'association pour le droit de mourir dans la dignité salue une « ouverture qui donne un réel espoir à tous ceux qui, en fin de vie, ne trouvent pas de solution dans les dispositifs de la loi actuelle ».
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