Droit de séjour pour raisons médicales

Fronde contre l’amendement Mariani

Publié le 28/09/2010
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DÈS L’ADOPTION le 15 septembre de l’amendement déposé par le député (UMP) Thierry Mariani, l’association ACT UP sonnait l’alerte : « Cet amendement, s’il était voté, signerait la fin du droit de séjour pour raison médicale. » Pour marquer les esprits, l’association prend l’exemple fictif d’une femme en situation irrégulière, séropositive et atteinte d’un cancer : en décembre 2010, elle est expulsée de France où elle suit un traitement vers l’Ouganda, où moins de la moitié des séropositives ont accès à un traitement ; en juin 2011, elle meurt faute de traitements, « l’amendement Mariani l’a tuée ».

Cet amendement vise à modifier l’article L313-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui stipule que, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit « à l’étranger résidant en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans les pays ou il est originaire ».

Pour justifier son amendement, le député UMP explique que les conditions de mise en œuvre de cette disposition, qui date de 1998, ont été « profondément modifiées par un revirement jurisprudentiel du Conseil d’État » en avril 2010. La haute juridiction a, à cette date, estimé que la restriction « sous réserve qu’il (l’étranger) puisse effectivement bénéficier d’un traitement » ne doit pas être laissée à l’appréciation de l’administration mais que celle-ci vérifie que le traitement existe, qu’il est accessible à l’ensemble de la population notamment en raison de son coût, de l’absence de modes de prises en charge adaptés. Et s’il est accessible, que « des circonstances exceptionnelles tirées de particularités » de la situation personnelle de l’étranger ne l’empêchent pas d’y accéder effectivement. Une interprétation trop « généreuse », estime Thierry Mariani, et qui « fait peser une obligation déraisonnable au système de santé français ». L’amendement propose tout simplement de supprimer la notion de traitement effectif, le titre de séjour n’étant délivré qu’en cas d’inexistence du traitement dans le pays d’origine du demandeur.

Vers un rejet systématique.

Alors que la discussion en première lecture du texte s’ouvre aujourd’hui, le CNS, dans une lettre adressée au président de la République, au Premier ministre, aux ministres de la Santé, de l’Immigration et du Budget mais aussi à des parlementaires, dont le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale et les membres du groupe d’études sur le sida, s’interroge sur cet amendement qui reviendrait à vider la notion de droit au séjour pour raisons médicales de tout contenu. Dans ce courrier, le CNS estime que subordonner la décision d’octroyer ou non un titre de séjour au critère binaire de l’existence ou de la non-existence d’un traitement approprié « revient à denier à celui-ci (le requérant) le droit à un examen individualisé de sa situation », c’est-à-dire « fondé sur l’appréciation, notamment par le médecin de l’Agence régionale de santé saisi pour avis (ou, à Paris, le médecin de la Préfecture de police), du rapport entre les besoins médicaux de la personne et l’offre sanitaire dans son pays d’origine ». Le CNS souligne que dans le cas de l’infection par le VIH, mais aussi pour de nombreuses autres pathologies, le problème n’est plus celui de l’existence de traitements mais celui de l’accessibilité. « Des traitements antirétroviraux existent dans tous les pays du monde », précis le conseil. Dès lors, les nouvelles dispositions, telles que le prévoit l’amendement, entraîneraient le « rejet systématique » de toute demande.

Le Conseil indique aussi que l’absence d’antirétroviraux « conduit à terme à une issue fatale » et que l’interruption des traitements dans le cas de l’infection à VIH était à l’origine du développement de souches virales résistantes. De plus, en érigeant un obstacle majeur à l’accès au dépistage et à la prise en charge des personnes étrangères présentes sur le territoire, « l’évolution législative envisagée apparaît en totale contradiction avec la politique de santé ». Quant à l’impact sur le système de santé, « la situation d’irrégularité du séjour, en excluant les personnes du bénéfice de l’Assurance-maladie (régime général, CMU) reporte la charge sur le dispositif de l’aide médicale (AME) ou bien, si celui-ci ne peut être mis en œuvre ou s’il devait être encore restreint à l’avenir, in fine sur le budget des hôpitaux, qui ne peuvent ni ne doivent refuser les soins nécessaires aux patients qui se présentent en particulier en situation d’urgence médicale », estime le CNS.

 Dr L. A.

Source : Le Quotidien du Médecin: 8824