La Contrôleure générale s'offusque du sort des détenus souffrant de troubles psychiatriques

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Publié le 22/11/2019

Crédit photo : S. Toubon

Alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) vient d'alerter sur l'accès aux soins dans les prisons européennes, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dresse « un constat accablant » de la situation des personnes détenues atteintes de troubles mentaux en France, dans un avis publié au « Journal officiel », ce 22 novembre. Adeline Hazan y déplore l'application systématique d'une logique sécuritaire à des processus de soins, au détriment du principe d'égalité d'accès aux soins entre détenus et population générale inscrit dans la loi depuis 1994.

Absence d'études épidémiologiques sur ces populations, difficultés de la justice à repérer et prendre en compte les pathologies mentales, crise de l'expertise psychiatrique, manque de formation du personnel pénitentiaire, etc. : la CGLPL reprend à son compte des constats qui font consensus, que ce soit au sein du gouvernement ou parmi les médecins.

Adeline Hazan alerte notamment sur la prise en charge « inégale et incomplète » des détenus. Au sein des établissements pénitentiaires, la CGLPL pointe de « graves faiblesses », liées à la pénurie médicale. L'accès aux soins ambulatoires et à l'hospitalisation de jour est très variable selon les établissements. Et de proposer de définir un ratio de personnel soignant par détenu.

Opposition à des « prisons médicalisées »...

La CGLPL s'oppose à la création de prisons médicalisées où seraient accueillies des personnes détenues souffrant de graves troubles psychiatriques – comme le centre pénitentiaire de Château-Thierry. « Le CGLPL considère qu’une personne souffrant d'une pathologie mentale nécessitant une prise en charge de longue durée, notamment parce qu'elle n'est pas en capacité d'apprécier et de mesurer la portée de la peine, n'a pas sa place en prison : elle doit faire l'objet d'une prise en charge confiée à des soignants et à ce titre, être orientée vers un établissement de santé », lit-on. Pour des raisons similaires, l'institution se prononce contre l'extension des programmes de soins en milieu pénitentiaire : « Elle repose sur une assimilation excessive de la prison au domicile personnel et sur l'illusion que le milieu pénitentiaire est en mesure de fournir des prestations d'accompagnement et de soutien que l'on n'y trouve pas dans les faits. »

Mais des alternatives peu convaincantes

En termes d'alternatives, la CGLPL préconise une suspension de peine pour raison médicale (encore trop rare, selon elle) et un suivi en milieu hospitalier ordinaire. « À titre exceptionnel », précise-t-elle, ces personnes peuvent être orientées vers des structures hospitalières sécurisées, sur le modèle des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Adeline Hazan reste néanmoins critique sur ces UHSA (à ce jour, neuf existent) : inégalement réparti sur le territoire, le dispositif est encore mal coordonné avec l'hôpital ou la prison et la continuité des droits des patients n'est pas toujours garantie.

La CGLPL est encore plus acerbe sur la prise en charge des détenus dans les services psychiatriques de proximité, où ils sont souvent placés en chambre d'isolement, voire sous contention, alors que leur état médical ne le justifie pas. Elle recommande que des directives nationales soient données pour mettre un terme au menottage systématique de ces personnes pendant leur transport et à leur placement systématique à l'isolement.

En réponse à cet avis, la garde des Sceaux Nicole Belloubet indique qu'un groupe de travail interministériel chargé de mettre en œuvre les orientations de la feuille de route 2019-2022 sur la santé des détenus sera constitué d'ici à la fin de l'année et rappelle que deux études sur la prévalence des troubles mentaux à l'entrée et à la sortie de la prison débuteront début 2020.

La France tancée aussi par l'OMS

Au niveau européen, l'OMS s'alarme également de la santé de mentale des détenus dans un rapport portant sur 39 pays. Quelque 14 % des décès pendant la détention sont liés à un suicide - et la France enregistre le plus haut taux de suicide (12,6 pour 10 000 prisonniers). En outre, le « taux de mortalité des personnes sortant de prison excède ceux des populations civiles, principalement dans le mois suivant leur remise en liberté » majoritairement par suicides ou overdoses, note le rapport.

La France figure à la troisième place en termes de surpopulation carcérale, avec un taux de 116 détenus pour 100 places derrière la Roumanie (120) et la Macédoine du Nord (122) tandis que le taux médian européen est de 91 détenus pour 100 places.

L'OMS enjoint les pays à établir un état des lieux de la santé des détenus – grâce à des tests de dépistage de la tuberculose, de santé mentale et d'addictions – ainsi que, sur la base du volontariat, des maladies sexuellement transmissibles et des hépatites. L'ambition n'est pas seulement sanitaire mais aussi économique : « Comme les détenus continuent de souffrir de manière disproportionnée de pathologies non diagnostiquées et non traitées, cela va s'ajouter au fardeau des organismes de santé publique après leur sortie », prévient l'organe onusien.


Source : lequotidiendumedecin.fr