« En France, 2016 fut une grande date dans la lutte contre l'épidémie d'hépatite C », affirme la Dr Isabelle Rosa, médecin dans le service d'hépato-gastroentérologie du CHI de Créteil. Après cinq années où le très onéreux sofosbuvir n'était réservé qu'aux patients les plus sévères, le remboursement pour tous est devenue une réalité.
Aujourd'hui, deux options thérapeutiques pangénotypiques sont recommandées : Epclusa (sofosbuvir + velpatasvir), pendant 12 semaines, et Maviret (glécaprevir + pibrentasvir), pendant 8 semaines. « Ces traitements ont une efficacité proche de 95 %, avec peu d'effets indésirables et peu de surveillance », indique la Dr Rosa. « Et l'on peut retraiter des patients qui se seraient réinfectés, comme s'ils avaient un gonocoque ou une chlamydia, sauf que c'est plus long et plus cher », abonde le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'ANRS-MIE.
Encore 75 000 patients à dépister
Si le nombre de patients sous ALD pour une hépatite C a été divisé par quatre entre 2014 et 2018, il resterait 100 000 patients à traiter, dont 75 000 ne sont pas dépistés.
Certaines populations sont particulièrement à risque de contamination : les précaires, les migrants, les usagers de drogues, la population carcérale, les séropositifs au VIH, et encore plus que les autres, les personnes souffrant de troubles psychiatriques, « ces catégories étant très intriquées les unes aux autres », commente la Dr Rosa.
La prévalence du virus de l'hépatite C (VHC) chez les patients psychiatriques s'élève à 5, voire 7 % (versus 0,5 % dans la population générale), et s'explique par des antécédents d'usages de drogues, mais aussi la vie en institution, la promiscuité, et une prise en charge somatique très inégale.
L'accès aux traitements bute sur un obstacle financier : « Impossible pour les établissements psy de l'assumer dans le budget de la dotation globale : le traitement d'un seul patient suffirait à la plomber. Quelques agences régionales de santé (ARS), comme celle d'Occitanie, donnent leur feu vert pour l'extraire de cette dotation », observe la Dr Rosa. Une mesure pertinente, alors que la guérison de l'infection par le VHC par les antiviraux à action directe (AAD) diminue significativement la fréquence des hospitalisations, à la fois en médecine et en psychiatrie, vient de montrer l'étude BaroC psy.
Les populations précaires et migrantes sont confrontées, quant à elles, à la nécessité d'être affiliées à l'Assurance-maladie - les permanences d'accès aux soins de santé (Pass) ne pouvant pas avancer les traitements pour les mêmes raisons qu'en psychiatrie.
« L'élargissement du droit de prescription des AAD aux praticiens de ville dans le cadre du parcours simplifié (HAS 2019), notamment des médecins impliqués dans les Pass, Caarud* et Csapa*, a permis un accès plus large aux médicaments des populations migrantes et vulnérables », salue la Dr Rosa. Mais sans pour autant améliorer le dépistage.
À l'inverse, en prison, un dépistage est systématiquement proposé à l'admission. Dans les faits, 51 % des détenus s'y soumettent, et le traitement peut être administré lors de l'incarcération. « Mais dans 80 % des cas, la peine est de moins de 10 mois, la personne ne reste pas jusqu'au bout de sa prise en charge », nuance la Dr Rosa, qui regrette l'absence de données sur le taux de réinfection en prison.
Plus largement, les stratégies d'aller vers devraient être développées auprès des populations éloignées du soin, à l'image des « bus où l'on fait dépistage, PCR et traitement dans le même temps », préconise-t-elle.
Un modèle mondial à revoir
À l'échelle mondiale, quelque 80 % des 58 millions de personnes souffrant du VHC ne sont pas diagnostiquées, et parmi les personnes au fait de leur statut, seulement 13 % bénéficient des AAD, a rappelé Sylvie Boyer, chercheuse en économie de la santé (Inserm/IRD/Aix-Marseille université). Des proportions qui tombent à 5 % (de personnes diagnostiquées) et 1 % (traitées) en Afrique et 7 % et 5 % en Asie du Sud-Est.
« La plupart des cibles fixées par l'Organisation mondiale de la santé pour 2020 n'ont pas été atteintes. Le chemin est long à parcourir pour atteindre les nouvelles cibles de 2030, consistant à dépister 80 % des malades, et à soigner 80 % des dépistés », commente-t-elle.
Cela suppose de rendre plus accessibles les AAD, via les génériques - comme ceux du daclatasvir disponibles dans 143 pays, grâce à un accord entre l'organisation Medicines Patent Pool et le laboratoire Bristol-Myers Squibb en 2015. La prise en charge elle-même doit sortir des centres spécialisés des grandes villes, ceci dès le dépistage et le diagnostic. « L'élimination du VHC ne se fera pas avec le modèle existant », met en garde Sylvie Boyer.
*Caarud : centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues ; Csapa : centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie
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