Maltraitance des enfants

La pédopsychiatrie ne peut pas tout réparer

Publié le 13/01/2011
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Crédit photo : DR

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Crédit photo : VOISIN/PHANIE

LE QUOTIDIEN - Il y a deux ans, dans un livre sans concession « Voulons-nous des enfants barbares »**, vous pointiez déjà le problème de l’augmentation de la violence chez certains enfants. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Dr MAURICE BERGER - Deux ans plus tard, je m’interroge sur l’utilité de répéter les mêmes choses. J’en arrive vraiment à renoncer à vouloir passer des messages. Toutefois, je me sens un peu moins seul : l’aggravation générale de l’état des enfants fait que certaines personnes commencent à réaliser que je disais vrai. Dernièrement, un des responsables de la protection de l’enfance du conseil général de la Loire m’a confié qu’il se rendait compte de l’augmentation des situations difficiles depuis la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Je reçois beaucoup de courriers de médecins responsables d’une unité d’hospitalisation à temps complet en pédopsychiatrie, de responsables d’établissements médico-sociaux pour enfants. Les « cas rares » sont monnaie courante.

En quoi cette loi de 2007 vous semble-t-elle néfaste ?

 Sachant que les grands principes de la loi étaient définis dès 2004, on peut dire qu’actuellement, nous avons presque sept ans de recul. Ce qui prime dans ce texte, c’est l’adhésion des parents aux mesures d’aide éducative : il n’est plus fait référence à l’état réel de l’enfant, à ce qu’il vit tous les jours. Ce n’est qu’en présence d’un danger que l’on peut obtenir une protection judiciaire suffisante. Ainsi, nous laissons des enfants dans des états affectifs et intellectuels très dégradés évoluer « tranquillement » vers le pire. On donne préséance aux droits des parents contre leur intérêt, qui est d’avoir un enfant qui va bien.

En France, c’est quelque chose qui n’est pas modifiable : quatre ans après le vote de la loi, il n’existe toujours pas d’évaluation systématique du niveau de développement des enfants. Les responsables institutionnels ne semblent pas s’intéresser à ce sujet, ni même la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Depuis des années, il n’y a pratiquement aucun article d’universitaire sur cette question. Le ministère de la Santé ne bouge pas non plus.

LA BATAILLE DE LA VIOLENCE EST PERDUE

Or, avec la loi de 2007, nous pouvons affirmer qu’aucun des enfants que nous avons réussi à tirer d’affaire autrefois ne serait suffisamment protégé, ni suffisamment tôt, pour s’en sortir aujourd’hui, en dépit de soins identiques. Le nombre des enfants présentant des troubles graves, soumis à des défaillances parentales importantes, est en augmentation constante. Cette augmentation pose un réel problème puisque près de 100 % de nos lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie sont occupés par de tels enfants.

Pensez-vous que l’on ait perdu « la bataille de la violence » ?

J’en suis absolument convaincu. J’ai reçu récemment un courrier d’un professionnel qui me demandait comment faire pour que certains de ces enfants deviennent accessibles à la culpabilité. Moi j’ajoute : « et à la honte ». Car malgré une recherche quotidienne sur cette question, des dispositifs soignants et éducatifs sophistiqués, intensifs, de longue durée, notre équipe ne parvient parfois pas à faire naître le moindre regret ou remord chez eux. Donc la répétition de leur violence est probable, voire inéluctable. De plus, les progrès que nous avons pu obtenir avec certains d’entre eux ont toujours été réalisés à un prix fort : dans notre service, le coût des soins est en moyenne de 580 000 à 900 000 euros.

Pour les soignants, cette situation est-elle également génératrice de souffrances ?

Tout à fait, l’équipe a le sentiment de traiter un trouble grave qui aurait pu être évité. La pédopsychiatrie est la seule discipline médicale qui dépend à ce point d’autres professionnels pour pouvoir mettre en œuvre les soins qu’elle estime nécessaires dans un cadre approprié. Nous sommes comme des chirurgiens auxquels on demande d’opérer alors qu’en même temps, on saupoudre de staphylocoques leur champ opératoire.

Selon vous, la solution ne peut passer que par la révision de la loi de 2007 ?

Les Québécois, qui ont revu leur législation en 2006 ont enregistré une baisse du nombre des mineurs qui commettent des délits de 7 % par an et de 5,7 % par an pour ceux qui commettent des crimes. C’est la preuve qu’une loi plus protectrice pour les enfants diminue la violence ultérieure. Et dans un rapport du Sénat de 1998, on notait que 90 % des mineurs délinquants étaient déjà connus au titre de la protection de l’enfance. Je pense que tant que la loi de 2007 sera en vigueur, on ne pourra que constater l’augmentation de la violence. On ne veut pas prendre en compte les connaissances scientifiques mondiales existantes. Que peut-on faire ? Oscar Wilde dit qu’il n’y a rien de plus terrible que de donner une réponse à une question que les autres ne se sont pas encore posé. Je souhaiterais qu’au moins l’Association des psychiatres d’intersecteur, la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, la Fédération française de psychiatrie demandent à être consultées avant toute loi concernant l’enfance.

Quelle position avez-vous par rapport à la prévention précoce ?

Le Centre d’analyse stratégique pose très bien les questions : la prévention précoce est essentielle à condition qu’elle ait des axes précis et rigoureux (« le Quotidien » du 6 janvier). Actuellement, tout le monde fait de la prévention comme M. Jourdain fait de la prose. Grâce à l’expérimentation CAPDEP (voir encadré) dont les résultats seront révélés en mars, on pourra voir si une méthode de prévention efficace et centrée sur des objectifs rigoureux est plus efficace que notre dispositif actuel. C’est une étude très importante. Toutefois, cette prévention ne s’est pas adressée aux familles qui étaient déjà signalées judiciairement, c’est-à-dire aux cas les plus lourds. Il faudra donc en voir les indications. La prévention n’a de sens que si l’on procède à une évaluation constante de l’état de l’enfant et de la qualité de son développement, faute de quoi, on ne sait pas ce que l’on fait. Deuxième point, on craint de stigmatiser les familles « à risque » mais cette inquiétude est hypocrite car les enfants en question seront le plus souvent stigmatisés ultérieurement. En France, le débat idéologique se résume ainsi : souhaite-t-on protéger le développement de l’enfant ou diminuer la délinquance ? En fait, il me semble que cela va de pair : dans les trois premières années de la vie, la quasi-totalité des enfants qui vont être délinquants plus tard présentent une souffrance psychique et des troubles du fonctionnement cognitif qui leur rend difficile de comprendre le monde et d’avoir une action cohérente sur lui. Si l’on était capable de repérer correctement les difficultés de développement affectif, intellectuel et social d’un enfant de moins de 3 ans et de les prendre en charge, on baisserait du même coup la délinquance sans même avoir à prononcer ce mot. La prévention ne doit pas être une question idéologique mais clinique.

* « La maltraitance des enfants : entre déni et tabou », colloque organisé par la Fondation pour l’enfance, vendredi 14 janvier, à l’Espace Reuilly, 21, rue Hénard, 75012 Paris. Renseignements et inscriptions au 01.53.68.16.58.

** Maurice Berger, « Voulons-nous des enfants barbares ? - Prévenir et traiter la violence extrême », 2008, Éditions Dunod.

PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8884