Pr Jean Ferrière (CHU de Toulouse) :

«  La prévention primaire par les statines n'est pas un débat médical, c'est un débat de société »

Par
Publié le 17/11/2016
Article réservé aux abonnés
ferriere

ferriere
Crédit photo : DR

Les nouvelles recommandations de la task force américaines proposent les statines en prévention primaire chez les patients ayant plus de 10 % de risque d'événements cardiovasculaire à 10 ans et au moins un facteur de risque. Est-ce une bonne décision ?

La task force américaine reprend l'essentiel des positions de l'American college of cardiology (ACC) et de l'American heart association (AHA). Ils prennent beaucoup de risques, car prévenir le risque cardiovasculaire dans une population aussi variée que la leur est hasardeux. Ce qu'il est important de retenir c'est que, contrairement à la prévention secondaire, où le risque est le même que l'on vive à Paris ou Stockholm, le calcul du risque en prévention primaire – sujet des nouvelles recommandations - dépend énormément de l'environnement. Dans une zone géographique à faible revenu, peu éduquée, avec une couverture médicale de mauvaise qualité, le risque d'un premier accident cardiovasculaire est multiplié par 2. Avec la société européeen de cardiologie (ESC), nous nous sommes montrés plus prudents en nous arrêtant aux patients asymptomatiques ayant déjà des lésions et qui sont donc à cheval entre la prévention primaire et secondaire.

Comment accueillir ces recommandations alors que plusieurs voix questionnent l'intérêt des statines ?

Les statines fonctionnent en prévention primaire, mais quand le niveau de risque est faible, le bénéfice est mineur, alors comment choisir ? À l'ESC, nous pensons qu'un patient qui a des plaques importantes, même sans antécédent cardiovasculaire, doit être considéré comme malade et traité par les statines en commençant directement avec de fortes doses. Le problème se pose surtout chez les patients à risque intermédiaire. Ce qui est embêtant avec les statines, c'est que, contrairement aux anti hypertenseurs, on ne dispose pas de seuils en dessous desquels ils ne diminuent plus le risque cardiovasculaire.

On se base pourtant beaucoup sur les seuils en France et en Europe ?

Les seuils sont particulièrement liés à la prévention secondaire. On sait que si on baisse le taux de LDL-cholestérol en dessous de 1,54 g/L, on parvient à réduire le risque de récidive. Pour la prévention primaire, on a des essais comme JUPITER qui montrent un bénéfice en prévention primaire avec des statines de faible intensité, même avec un taux de cholestérol bas, mais est-ce que ça justifie la prescription tous azimuts ? C'est un vrai problème de société, ce n'est plus un problème médical.

C’est-à-dire ?

Si on augmente le nombre de patients traités, je ne crois pas que cela va provoquer un grand nombre d'effets secondaires, autres que des myalgies peu sévères, mais on peut se demander s'il ne vaut pas mieux apporter une réponse en termes de modifications des modes de vie plutôt qu'une médicalisation d'emblée.

L'Inde et les pays en voies de développement ont choisi de médicaliser de façon systématique. Ils ne se posent pas la question de savoir si les gens se nourrissent correctement, s'ils vivent dans de bonnes conditions, mais préfèrent leur proposer une « polypill » à très bas prix, incluant une aspirine, une statine et on oublie tous le reste. Cette position me choque mais elle est très réfléchie, ils ont calculé que 2/3 des hospitalisations évitées l'étaient grâce à des traitements médicamenteux. Nous pourrions aussi imiter les Anglais qui ont réglé la question avec une étude médico-économique qui a fourni le seuil à partir duquel ils pouvaient se permettre de traiter par les statines.

Quelle attitude doivent adopter les médecins généralistes ?

Pour les médecins généralistes, la situation n'est pas évidente car ils se retrouvent avec ces recommandations américaines et celles du NILES au Royaume Unis alors qu'en France, on n'a pas eu de nouveau texte sur la prévention primaire depuis celui de l'Afssaps de 2005. Il y aura bientôt de nouvelles recommandations produites pour la HAS, qui vont s'appuyer sur des référents sans conflits d'intérêts, mais qui risquent de ne pas connaître tous les thèmes parfaitement car ils n'auront pas participé aux études cliniques. En France, il manque une vraie recommandation intégrée avec tous les facteurs de risque, avec un seuil en dessous duquel on traite à la fois le cholestérol et la pression artérielle, sans que la réponse soit obligatoirement médicamenteuse.

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9535