L’assistance médicale à la procréation en prison

Le « oui » de principe et sous réserves de l’Académie de médecine

Publié le 24/10/2012
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C’EST À LA SUITE de la lettre d’un praticien hospitalier de l’unité de consultation en soins ambulatoires (UCSA) de la prison de Fresnes que l’Académie de médecine a constitué en décembre 2011 un groupe de travail sur l’AMP en prison. Le sujet remonte à 1977 lorsqu’une première demande d’insémination artificielle est adressée au Centre d’étude et de conservation du sperme (CECOS) du Kremlin-Bicètre. « Depuis trente ans, ce sont les mêmes questions qui se posent. Ce rapport donne un cadre précis », explique le rapporteur Roger Henrion. Face à ce serpent de mer, qui se heurte notamment au tabou du sexe en prison, médecins et directions pénitentiaires n’ont pas de religion. Les pratiques sont très disparates, les demandes, rares : ces 3 dernières années, 16 ont été formulées (selon les réponses de 30 % des centres autorisés d’AMP), 3 AMP ont abouti, dont 2 étaient entreprises avant la détention.

L’Académie de médecine se prononce en faveur de l’AMP dans des conditions très strictes. Au nom du principe d’équivalence entre les soins médicaux à l’intérieur et à l’extérieur des prisons, posé par la loi du 18 janvier 1994 et réaffirmé en 2009, l’Institution estime - prudemment - que l’« AMP est a priori recevable » à deux conditions. Elle doit être indiquée par une infertilité médicalement prouvée, comme le veut la loi de bioéthique de 2011, et s’inscrire dans une communauté de vie familiale. « Nous avons élargi cette notion aux personnes qui avaient une vie en couple avant l’emprisonnement et à ceux qui se retrouvent lors de permissions de sortie ou au sein des parloirs familiaux (PF) ou dans les unités de vie familiale (UVF) * », explique au « Quotidien » le Pr Henrion.

Le principe directeur est donc la non-discrimination entre le dedans et le dehors en matière de soins. « Les détenus sont assujettis au régime général de l’assurance maladie. Et il n’y a pas de raison de séparer l’AMP des autres soins dès lors qu’elle est remboursée, même s’il ne s’agit pas de soins primaires », poursuit-il. En outre, le sens donné à l’incarcération a évolué. La réinsertion prime sur la punition, et le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu aux détenus. « Un de nos 23 interlocuteurs a déclaré que le refus de ces principes pourrait être considéré comme une double peine », écrit le rapporteur.

Pas d’AMP pour « infertilité sociale ».

L’Académie ferme la porte en revanche à des demandes pour « infertilité sociale », lorsque la maternité est empêchée par les conditions de détention. L’institution s’oppose à la Cour Européenne des droits de l’homme, qui, en 2007, a condamné l’Angleterre pour avoir refusé une insémination artificielle à un couple de prisonniers. Elle rejoint en revanche les positions du contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, qui estime qu’il y aurait une « discrimination à rebours » si l’on accordait l’AMP à une personne fertile emprisonnée. En outre, refuser l’AMP pour infertilité sociale évite que l’administration pénitentiaire ne se décharge sur les médecins de la question des relations sexuelles en prison. « Nous recommandons de développer les UVF et les parloirs familiaux PF », explique le Pr Henrion. En 2012, seulement 28 établissements (sur 191, soit 14,7 %) comportaient des UVF (70 au total) et PF (33), encore très difficile d’accès.

Des médecins divisés.

Si l’Académie admet l’AMP en prison en cas d’infertilité pathologique, elle est consciente des difficultés que les personnes rencontreront dans les faits. « Il y a de grandes difficultés de communication entre les différents intervenants : gendarmerie, centres autorisés d’AMP, CECOS, médecins pénitentiaires », constate le Pr Henrion. Les contraintes liées à l’extraction d’une personne sont aussi très prégnantes, et le coût financier, que l’Académie n’a pas chiffré, est élevé car il cumule les frais de l’AMP et des transferts.

Les centres d’AMP, qui ont le pouvoir de décision, « sont prêts à assumer cette lourde responsabilité mais pas à se précipiter », confie le Pr Henrion. Le rapport suggère en effet que si la demande doit être examinée sans discrimination, plusieurs facteurs comme la sincérité du désir d’enfant, les conditions sanitaires et sécuritaires, l’avis du psychiatre et des services judiciaires sur le détenu, et ses antécédents, devront être évalués. En cas de conflit, seul le bien-être de l’enfant doit être privilégié, précise l’Académie.

Mais sur tous ces sujets, les positions des médecins divergent. Une première ligne de fracture apparaît entre ceux qui refusent de communiquer avec l’administration pénitentiaire au nom du secret médical, et d’autres qui estiment que connaître les raisons d’une incarcération est utile à la prise en charge.

Une seconde ligne sépare les pédiatres qui jugent inacceptable pour un enfant de venir au monde en prison, et ceux qui affirment que la stabilité affective des contacts lors des premiers mois est primordiale.

L’Académie de médecine recommande in fine d’évaluer le développement psychomoteur des enfants nés en prison ou y ayant séjourné. « Mais là encore, certains médecins sont réticents à toute étude épidémiologique au nom du bien-être des enfants et des mères », conclut le Pr Henrion.

*Les PF sont des pièces fermées à clé de 12 à 15 m2 avec sanitaires, accessibles aux détenus pendant une journée au plus, à condition de démontrer l’existence d’un lien solide avec un visiteur. Les UVF sont des appartements meublés de type F2 ou F3 dans l’enceinte pénitentiaire, conçus pour y mener une vie autonome. Les visites peuvent y durer de 6 à 72 heures.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9180