Le Pr Gilles Brücker : pourquoi les épidémiologistes sont pour

Publié le 24/03/2009
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1. Le caractère ethnique doit être enregistré

Personnellement, je trouve que cette notion de recensement ethnique est atroce. Et je n’aime pas le mot race, qui est emprunt de confusion. Cela dit, aujourd’hui, les éléments d’appartenance à une communauté, quelle que soit sa nature, religieuse, culturelle, régionale ou, pourquoi pas, ethnique, existent, ils relèvent de très nombreux facteurs.

J’ai beaucoup de mal à caractériser scientifiquement le mot très complexe d’ethnie. Il cherche le plus souvent à définir une population à travers ses caractéristiques géographiques, sociales, ou culturelles. Mais si on veut savoir s’il y a une politique équitable d’accès à l’école entre Hutus et Tutsis, on est bien obligé d’enregistrer le critère ethnique. Le fait d’appartenir à telle ou telle communauté est constitutif d’un déterminant d’insertion sociale ou d’un déterminant de santé. Identifier à travers une communauté des déterminants de la santé ou de l’insertion sociale est une chose, considérer que la reconnaissance et l’utilisation de tels facteurs constituerait une forme de division en est une autre. Attention de ne pas faire d’amalgame entre les deux démarches.

2.Une démarche de santé publique

Certaines maladies ont des déterminants génétiques. Si on prend l’exemple de la drépanocytose, on voit que cette anomalie génétique est en lien avec des communautés nationales ou ethniques où elle fortement présente. Les épidémiologistes doivent donc recueillir ce critère, car veiller à la santé publique, c’est aussi mesurer la probabilité de voir émerger un risque. Je dirai même que la démarche numéro 1 en santé publique, c’est de faire l’analyse des déterminants, qu’ils soient génétiques, sociaux, culturels ou comportementaux.

3. L’exemple du VIH

Avec le VIH en France, qui a été un sujet majeur de veille sanitaire, on a bien vu à quel point il était important, pour mesurer le développement épidémique, de faire le recensement des caractéristiques non communautaires, comme le comportement sexuel. La CNIL nous a autorisés à renseigner les choix de sexualité des personnes, des données qui nécessitent d’être extrêmement protégées dans leur confidentialité, mais qui constituent des données épidémiologiques majeures.

Si on veut conduire une politique de santé efficace, il faut s’intéresser aux groupes les plus exposés et les plus vulnérables, il faut donc inventorier leurs déterminants, même si cela conduit à traiter des données délicates.

4. Méconnaître l’identité communautaire conduirait à la cécité

Sans identification des facteurs déterminants, on travaille en pleine cécité. Si je vous donne pour le VIH la prévalence et l’incidence moyennes en France, vous n’en tirerez pas grand-chose pour faire une politique de santé publique. Si je vous fournis les mêmes données reliées à des critères géographiques et sociaux, en isolant les populations issues d’Afrique subsaharienne, vous allez voir apparaître des particularités très significatives. Que l’on dise noir ou issu d’Afrique subsaharienne, je reste convaincu qu’il est primordial de travailler sur les déterminants de la santé et, si l’on veut réduire les inégalités, il faut les mesurer à partir de ces critères. Méconnaître les facteurs relevant de l’identité communautaire serait préjudiciable à la recherche comme à la santé publique. Disant cela, j’exprime un large consensus qui prévaut chez les épidémiologistes.

 PROPOS RECUEILLIS PAR CH. D. 

Source : lequotidiendumedecin.fr