Enfants victimes d’inceste

Le signalement est un acte médical

Publié le 04/07/2011
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« C’EST L’UN DES PIRES traumatismes psychiques » que l’enfant ait à subir. Les victimes d’inceste sont « des survivants », résume le pédopsychiatre Gilbert Vila. Troubles du comportement alimentaire, troubles du sommeil, addictions, dépression, tentatives de suicide : les symptômes de ces maltraitances sexuelles ne sont pas spécifiques mais « on en meurt souvent », insiste le spécialiste, qui a présidé, à ce sujet, le groupe de travail de la HAS. Et rares sont ceux qui osent avouer d’eux-mêmes leurs souffrances. Près de deux millions d’adultes pourraient avoir été victimes d’un inceste pendant leur enfance mais seulement 15 000 nouveaux cas de violences sexuelles sur mineur sont constatés chaque année, dont environ deux-tiers d’incestes.

Face à ce « fléau de santé publique » silencieux et sous-estimé (90 % des incestes ne seraient pas signalés à la justice), les professionnels de santé doivent jouer un rôle essentiel dans le repérage des victimes et leur protection. « L’inceste n’est pas forcément déterminé par un lien matrimonial », précise le pédopsychiatre. De manière générale, il est commis par toute personne ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime. L’inceste sur mineurs n’est inscrit dans le code pénal que depuis la loi du 8 février 2010. Catherine Brault, avocate et référente victimes au sein de l’Antenne des mineurs, indique qu’elle défend aussi bien les victimes que les auteurs, souvent d’anciens outragés.

Un devoir déontologique

Les recommandations de bonne pratique publiées par la HAS (saisie par la direction générale de la Santé) visent à inciter les médecins à « garder à l’esprit la possibilité de ces événements » et à savoir en évoquer l’existence « devant un tableau clinique et comportemental préoccupant chez l’enfant ». Isabelle Aubry, « survivante d’inceste », estime que ces recommandations constituent « un premier socle dans ce chantier » de la protection et de la prévention. À la tête de l’Association internationale des victimes de l’inceste (AIVI), elle se souvient que c’est une voisine qui lui a « fait cracher le morceau », à force de questions. Menacés la plupart du temps, « les enfants préfèrent parler avec des maux. Moi, j’avais des problèmes respiratoires, je faisais des bronchites à répétition, je souffrais d’asthme », raconte-t-elle, en regrettant le manque de formation des médecins car ils sont souvent des interlocuteurs de confiance, « protecteurs et accessibles », note-t-elle. Le Dr Vila confirme : « C’est une question de priorité. Il faut prendre le temps et savoir poser les questions » ou entendre ceux qui s’expriment différemment. Les enfants souffrant de handicaps sont parfois « des proies d’autant plus faciles ». Le fait de ne pouvoir interroger l’enfant seul constitue également un signe d’alerte, tout comme l’est « le fonctionnement fermé des familles ».

Alors que le signalement constitue « la meilleure arme » de défense pour les victimes, trop peu de médecins franchissent le pas. Or, « plus on agit vite, plus il y a des chances de guérison », assure le pédiatre, qui parle de reconstruction. La plupart des victimes de viol ne dénoncent les faits qu’une dizaine d’années après. « Il y a encore un tabou autour de la famille. Le médecin ne veut pas nuire. Mais le silence est complice et coupable », affirme-t-il. « Il y a des signes d’appel, des signes cliniques, des conduites à tenir et une intervention possible. Le signalement est un geste médical et sociétal » qui regarde, en tout premier lieu, le médecin. Isabelle Aubry, qui évoque « l’errance thérapeutique et l’isolement », demande également que des recherches soient entreprises : « On ne fait pas le lien entre le traumatisme et ses conséquences », déplore-t-elle. Grâce à la diffusion d’une synthèse pratique des recommandations (« Circonstances de repérage », « Conduite de l’examen médical physique et psychique », « Signalement par le médecin »), la HAS entend inciter les professionnels de santé à « briser le silence » et attend du ministère de la Santé qu’il lance un plan gouvernemental contre l’inceste.

Les recommandations sur « Repérage et signalement de l’inceste par les médecins: reconnaître les maltraitances sexuelles intrafamiliales chez le mineur » (mai 2011) sont consultables sur www.has-sante.fr.

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STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8993