Suivi des délinquants sexuels

Le système structurellement défaillant

Publié le 23/11/2011
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LE DRAME de la jeune Agnès a focalisé l’attention des médias : scolarisée en internat au collège-lycée du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), l’adolescente de 13 ans a été assassinée et violée par un élève de l’établissement, qui a reconnu les faits. Ce lycéen de 17 ans mis en examen pour viol sur mineure en août 2010 dans le Gard avait effectué quatre mois de détention avant d’être placé sous contrôle judiciaire dès la fin de l’année 2010. D’après le procureur de la République du tribunal de Clermont-Ferrand, le lycéen devait être suivi par un psychiatre au Puy-en-Velay (Haute-Loire), par un psychologue de son établissement et être scolarisé en internat. Ses parents l’ont alors inscrit dans cet internat auvergnat mixte sans avoir sensibilisé les responsables de l’établissement sur les faits de violence sexuelle commis par leur enfant. Selon le directeur du collège-lycée du Chambon-sur-Lignon, l’administration judiciaire aurait également omis de préciser la nature du passé judiciaire de l’adolescent, ce que réfute le parquet de Clermont-Ferrand. Pour ce dernier, le lycéen était jugé « réadaptable, réinsérable et ne présentant pas de dangerosité » si toutes les conditions du suivi étaient réunies. Or, aucun suivi n’avait apparemment été mis en place dans cet internat.

Pour faire la lumière sur cette affaire, le garde des Sceaux Michel Mercier a diligenté une enquête afin de déceler une éventuelle défaillance du suivi judiciaire du lycéen. Lundi, à l’issue d’une réunion à la Chancellerie, le ministre de la Justice a annoncé que la question de « l’évaluation de la dangerosité » des délinquants figurera dans un projet de loi relatif à l’exécution des peines présenté ce mercredi en Conseil des ministres. « Quand on regarde le dossier, on s’aperçoit que beaucoup de choses reposent sur l’absence de risques de réitération, qui ressort des expertises psychiatriques qui ont été menées (…) Parfois, une seule expertise peut être faillible, il faut qu’on organise mieux l’évaluation de la dangerosité au moins dans les affaires les plus graves », déclare le ministre de la Justice. « Il y a des questions normales qui se posent, notamment sur le secret partagé entre la justice, l’école, la santé. Nous avons probablement des progrès à faire. Sur ce point, un décret était déjà en préparation et pratiquement prêt pour organiser ce partage du secret professionnel », ajoute-t-il.

Prévisions imparfaites.

S’agissant des délinquants sexuels, une mission de préfiguration d’un nouvel office de suivi avait été mise en place à l’occasion de l’affaire Lætitia Perret. Attendues pour la fin mars 2011, les conclusions de cette mission n’ont pas été dévoilées. Dans un rapport publié en juin 2010, l’Académie nationale de médecine avait notamment recommandé « d’améliorer la pratique des expertises de dangerosité des criminels sexuels en enseignant et en diffusant les méthodes actuarielles » (fondées sur l’analyse statistique). Pour le Dr Gérard Rossinelli, président de l’Association nationale des psychiatres experts judiciaires (ANPEJ), l’application en France des échelles actuarielles, déjà utilisées en Amérique du Nord, ne constitue pas la solution miracle. Prétendre que des logiciels peuvent résoudre le problème de la prédictivité de la délinquance, « scientifiquement, c’est tout simplement faux » car « le risque zéro n’existe pas », explique-t-il à l’AFP.

Le rapport de l’Académie rappelait d’ailleurs la nécessité « d’informer les magistrats et le public en général, du caractère très imparfait des prévisions, même quand l’expertise a utilisé les meilleurs instruments actuellement disponibles ». Dans ses conclusions, le rapport relève que l’évaluation de l’efficacité des traitements demeure « largement incomplète ». Et « nous ne savons pas sur quels critères déterminer la durée des traitements, la part respective à laisser aux psychothérapies et aux thérapeutiques hormonales, la conduite à tenir devant la survenue des complications de ces dernières », remarquent les auteurs.

Dans l’optique du projet de loi qui doit être présenté mercredi, le Dr Rossinelli espère que les experts psychiatres, dont les effectifs ont chuté en quelques années de 800 à 500 ne feront pas figure de « boucs émissaires ». Selon lui, l’amélioration de l’évaluation de la dangerosité des individus passe par une « évaluation criminologique pluridisciplinaire », avec des « centres régionaux d’évaluation criminologiques ».

 DAVID BILHAUT

Source : Le Quotidien du Médecin: 9046