Après l’agression d’un médecin à la prison de Villepinte

Les soignants dénoncent l’insécurité et la surpopulation

Publié le 10/01/2013
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L’OPHTALMOLGISTE travaillait depuis une quinzaine d’années à l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) de la maison d’arrêt de Villepinte. Lundi matin, il a eu le visage tailladé et l’œil gauche très abîmé par un détenu de 27 ans, incarcéré dans cette prison depuis mai 2012, suite à une condamnation en mars 2011 en Espagne à 7 ans de détention pour tentative d’assassinat. Selon le Dr Ludovic Levasseur, médecin chef de l’UCSA de Villepinte, le patient avait rendez-vous avec son psychiatre lorsqu’il a croisé l’ophtalmologiste, avec qui il avait déjà eu une altercation. Compte tenu de ce précédent, l’équipe évitait toute rencontre entre les deux. « À l’insu de la surveillance, en passant au travers de 2 postes de contrôle, il a réussi à se réintroduire dans le service pour commettre un acte délibéré », explique au « Quotidien » le médecin. L’agresseur était muni d’un demi-ciseau affûté et d’un stylo surmonté de lames de rasoir.

Hospitalisé en urgence, l’ophtalmologiste était mardi toujours sous surveillance et « très choqué », selon le Dr Levasseur. Le pronostic sur son œil était réservé. Par solidarité, les soignants ont exercé leur droit de retrait en début de semaine.

166 % de surpopulation

« Je ne jette pas la pierre aux agents », anticipe le médecin-chef. Il accuse en revanche la surpopulation carcérale et le manque de moyens. « Je travaille à Villepinte depuis 1997. Il y avait 588 personnes pour 588 places. Dans les années 2000, on recensait déjà 720 personnes et la dégradation des conditions de vie et de travail se faisait sentir. Aujourd’hui la maison d’arrêt compte 900 détenus, soit un taux de surpopulation de 166 % ». L’équipe de l’UCSA est composée de 2,4 médecins généralistes, d’un psychiatre, et d’une dizaine de paramédicaux. « Nous sommes motivés, avons de bons rapports avec les agents, sommes pilotes dans la prévention du suicide », décrit le Dr Levasseur.

Néanmoins le système est sur la corde raide. L’infirmerie reçoit entre 70 et 140 détenus par jour (avec une moyenne de 120), entre 8 heures et 17 h 30. « Il n’y a qu’un seul surveillant pour ouvrir les portes et effectuer une simple palpation. Un autre poste de contrôle dessert les services sociaux et le sport », poursuit le médecin.

Plus de sécurité.

Le Dr Levasseur souhaite le renforcement des règles de sécurité autour du personnel médical. Concrètement, il demande la présence pérenne de 2 surveillants, une meilleure gestion de flux des patients pour éviter les pics, et l’accompagnement systématique de l’équipe le week-end - une infirmière tient une permanence sur place, un médecin est d’astreinte.

Ces revendications sont relayées au niveau national par la présidente du Syndicat des praticiens exerçant en prison (SPEEP), le Dr Émilie Chaigne. « Il faut sécuriser les unités sanitaires et également reconnaître le risque qu’on encourt, sans quoi le nombre de médecins en prison baissera inéluctablement », explique-t-elle.

Le Dr Chaigne soulève également la question de l’incarcération de malades psychiatriques dans des structures non spécialisées. « Qui met-on dans les Unités pour malades difficiles ? Les personnes déclarées irresponsables, dissociées, oui. Là, il s’agissait d’un criminel dont la responsabilité avait été reconnue. Ce n’est pas mon débat. Nous souhaitons soigner du mieux qu’on peut tous les détenus dans des conditions qui respectent la vie des intervenants », conclut le Dr Levasseur.

Contactée, l’administration pénitentiaire se réserve de tout commentaire tant que l’enquête est en cours. L’agresseur a été placé en garde à vue au commissariat de Villepinte.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9208