Les Irlandais adoptent le traité de Lisbonne

L’Europe selon les jours

Publié le 06/10/2009
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Crédit photo : AFP

LES SAGES DIRIGEANTS qui nous gouvernent nous recommandent de ne pas dénoncer l’égoïsme et l’opportunisme des Irlandais, ce qui ne ferait qu’envenimer nos rapports avec eux. Mais cette recommandation est une façon de cacher la vérité. Même les partisans de l’Union reconnaîtront que c’est par des méthodes fort peu démocratiques que l’Europe est en train d’accoucher du traité de Lisbonne : le « non » des Français a été balayé par un « oui » du Parlement, ce qui veut dire qu’on a demandé aux élus d’accepter ce que le peuple qu’ils sont censés représenter a refusé ; en juin 2008, l’Irlande a voté par référendum, elle a dit non et voilà que son gouvernement organise une consultation identique en 2009. On nous a dit que les Irlandais avaient moins voté contre l’Europe en 2008 qu’ils n’avaient désavoué leur gouvernement, crédité d’à peine 10 % des voix. C’est pourtant le même gouvernement qui a procédé à la seconde consultation.

Europe salvatrice.

Qu’est-ce qui s’est passé ? Il s’est passé que, plus durement heurtée par la crise mondiale que la plupart des autres pays, l’Irlande a besoin de l’Europe si elle veut avoir une chance de redresser son économie et ses finances. L’Europe technocratique, avorteuse, dominatrice d’hier est devenue l’Europe salvatrice. Les Irlandais ont d’ailleurs la mémoire courte, car le développement inouï de leur économie pendant les deux décennies qui ont précédé la crise est attribuable au moins en partie à l’UE qui a investi beaucoup dans ce pays.

Pourquoi ne pas dire la vérité ? Parce qu’elle est choquante ? Parce qu’il ne faut pas affaiblir les fragiles piliers sur lesquels on bâtit l’Europe ? La lucidité, en Europe ou ailleurs, nous semble constituer le meilleur instrument de la prévention. Car l’avenir immédiat ne va pas être simple. D’abord, le président de la République tchèque, Vaclav Klaus, n’a toujours pas apposé sa signature au bas du traité. Ce ne sont pas les Tchèques qui sont hostiles dans leur majorité à l’Union, c’est lui seul et il nous fait un gros caprice parce qu’il aime l’Amérique et qu’il juge l’UE insuffisamment libérale. Ensuite, l’autre danger vient du président polonais (qui a d’ailleurs dit qu’il attendait le vote des Irlandais) : lui non plus n’a pas signé. Enfin, le chef de l’opposition britannique, David Cameron, qui pourrait gagner les prochaines élections législatives dans son pays, exige un référendum. Est-il logique que l’on attende l’arrivée au pouvoir des tories en juin 2010 ? Non, M. Cameron dit qu’il ne bougera pas si le traité de Lisbonne est adopté entre-temps. Mais 85 % de l’électorat conservateur réclame ce référendum quelles que soient les circonstances.

C’était le bon moment pour que l’Irlande dise « oui ». C’est le bon moment pour convaincre les présidents tchèque et polonais. Il faut aller vite avant que le Royaume-Uni bloque toute la procédure. D’autant qu’on pense beaucoup à Tony Blair pour la première présidence européenne (bien qu’il ait renoncé à adopter l’euro ; mais la chute de la livre fera peut-être revenir les Britanniques à de meilleurs sentiments). M. Cameron n’a pas envie que le social-démocrate qui a dominé la vie politique britannique pendant dix ans obtienne un mandat par lequel il exercera des pressions sur le royaume pour qu’il consente à une plus grande intégration dans l’Union.

Un projet qui sombre dans la médiocrité.

Ainsi va l’Europe, plutôt ingouvernable et soumise aux passions nationales. Voilà un grand projet historique qui sombre lentement dans la médiocrité des gouvernants, privés de souffle et de vision, dans la peur des peuples, incapables de comprendre les mécanismes technocratiques, et à cause de l’absence d’un leadership auquel, il est vrai, Tony Blair pourrait donner beaucoup de prestige. Sans doute est-il également regrettable que José Manuel Barroso ait été reconduit à la tête de la commission européenne, lui qui n’a jamais été, pendant son premier mandat, que le terne dénominateur commun de 27 volontés disparates. Sans doute doit-on regretter que l’Allemagne ait tellement besoin de ressouder ses deux anciennes parties qu’elle n’a plus la disponibilité requise, et la volonté politique, pour renforcer l’axe franco-allemand, historiquement indispensable à la construction de l’Union, et pour faire avancer l’Europe. Toutefois, l’expérience a montré que l’Union peut faiblir et ralentir mais qu’elle est, au bout du compte, indestructible. Il suffit de voir comment, face à une crise qui failli annihiler la totalité de l’économie mondiale, l’Europe, même si elle n’a pas su vraiment mettre en place un plan concerté, a pesé, plus que tous les autres, dans le sens de la régulation d’une finance devenue folle et de la protection des citoyens européens. Le projet européen vaut bien quelques accommodements avec le droit des peuples.

LE OUI IRLANDAIS NE MÉRITE PAS QUE L’ON S’EN RÉJOUISSE

L’approbation du traité de Lisbonne célébrée à Dublin

RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr