Vers une désertification des injections intra-articulaires

L’inquiétude des rhumatologues

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Publié le 06/04/2017
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l'inquietude

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Crédit photo : PHANIE

« La situation devient très critique avec une pénurie de corticoïdes injectables qui place un grand nombre de patients en position très difficile. Trouver ces produits dans une pharmacie relève du parcours du combattant, ce qui n’est pas acceptable », souligne le Dr Emmanuel Maheu, rhumatologue libéral à Paris, et attaché à l’hôpital Saint Antoine.

Cette pénurie affecte particulièrement l’exercice des rhumatologues libéraux. « Dans notre pratique, les injections intra-articulaires sont une option thérapeutique quotidienne pour lutter contre l’inflammation et la douleur, donc le handicap dans un grand nombre de pathologies, tendinopathies, rachialgies et radiculalgies, articulations arthrosiques douloureuses et arthrites des rhumatismes inflammatoires », souligne le Dr Maheu, en insistant sur l’intérêt de ces traitements locaux. « Dans l’immense majorité des cas, il y a peu d’effets secondaires car la dose de cortisone injectée est faible, ajoute-il. Pour des raisons de iatrogénie et d’efficacité, nous préférons recourir à des traitements locaux plutôt qu’à des traitements par voie générale, chaque fois que possible. Chez nos patients âgés, par exemple, il vaut mieux éviter les AINS, ou les opioïdes dans le traitement de la douleur ».

Cette pénurie de corticoïdes injectables a été provoquée au départ par une rupture de fabrication de l’Altim ® par le laboratoire Sanofi. « Il y a eu un problème dans la chaîne de fabrication chez le sous-traitant écossais de Sanofi. Cela devait être temporaire mais aujourd’hui, il apparaît que Sanofi ne reprendra pas la production de l’Altim ®. Or ce produit représentait environ 70 % des prescriptions », explique le Dr Maheu. Face à cette pénurie, les prescriptions des rhumatologues se sont reportées vers d’autres produits (Diprostène ®, Hydrocortancyl ®, Hexatrione®) qui se sont, à leur tour, retrouvés en ruptures de stocks successives.

« Aujourd’hui, nous sommes dans une situation de très grande tension. Les rhumatologues reçoivent un grand nombre d’appels de patients énervés et inquiets car ils ne trouvent plus de corticoïdes dans les officines et de nombreux appels également de pharmaciens qui ne savent pas par quel produit ils peuvent substituer nos prescriptions », confie le Dr Maheu. « Il faut des mesures pour assurer une sécurisation d’une reprise de la fabrication de l’Altim ® ou la mise en place d’une chaîne de production publique. Ou alors, il faut importer de l’étranger des produits utilisables au rachis (formes de dexaméthasone, par exemple). Mais la situation ne peut pas demeurer en l’état », estime le Dr Maheu, précisant que les produits disponibles ne peuvent être utilisés dans tous les cas (au rachis, l’Hydrocortancyl peut remplacer l’Altim, mais pas pour un rachis déjà opéré).

SMR jugé « insuffisant » pour les acides hyaluroniques

« Autre dossier chaud : celui du risque de déremboursement des acides hyaluroniques dans l’arthrose ou la gonarthrose. « Avec le Collège Français des Médecins Rhumatologues, nous sommes allés voir la Haute autorité de santé (HAS) pour démontrer à sa commission d’évaluation des dispositifs médicaux (CNEDIMTS) tout l’intérêt des acides hyaluroniques dans la gonarthrose. Nous avons apporté des preuves d’efficacité et d’innocuité. Mais malheureusement, nos arguments n’ont pas été entendus et la HAS a attribué un service médical rendu (SMR) « insuffisant » aux acides hyaluroniques. Ce qui, de facto, doit entraîner leur déremboursement sans doute après la présidentielle », indique le Dr Maheu. Il ne resterait (et pour combien de temps ?) que le seul qui a un statut de médicament, remboursé à 15 % (Hyalgan®).

Cette issue risque d’avoir des conséquences importantes. « Tout d’abord, un grand nombre de patients pour des raisons financières ne pourront plus avoir accès à ces injections. Ce déremboursement risque aussi d’entraîner une explosion de pratiques discutables, d’injections dans de mauvaises indications, ou par des médecins pas forcément formés (avec les risques, notamment septiques que cela pourrait entraîner).

De plus, il existe un risque non négligeable de report des prescriptions vers des produits potentiellement plus dangereux pour soulager les douleurs d’arthrose ou vers une pose plus précoce de prothèses totales avec leur iatrogénicité, leurs risques et leur coût, sans parler des risques liés à des reprises plus fréquentes et plus précoces, elles aussi, par la suite », indique le Dr Maheu.

D’après un entretien avec le Dr Emmanuel Maheu, Paris

Antoine Dalat

Source : Bilan Spécialiste