Expertises CHSCT sur les suicides chez Renault

L’Ordre annule sa sanction contre le Dr Palazzi

Publié le 23/05/2012
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Crédit photo : AFP

« C’EST UN SOULAGEMENT, je viens de vivre des moments très douloureux ». Le Dr Stéphanie Palazzi accueille la décision de la chambre disciplinaire nationale avec « humilité ». « Je ne fais pas de prosélytisme et je ne veux pas prendre de position sur les expertises, je m’en tiens au jugement qui vient d’être rendu », confie-t-elle au « Quotidien ».

L’histoire commence en 2007, la succession tragique de suicides de salariés du technocentre de Guyancourt. Décidé à mettre en place des actions de prévention, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) lance un appel d’offres que remporte le cabinet Technologia, spécialiste agréé depuis 1989. Sa mission : réaliser une expertise CHSCT qui inclue, entre autres sujets, l’analyse de 4 suicides « afin de déterminer et de comprendre au mieux les facteurs professionnels qui ont pu éventuellement conduire à chacun de ces actes ».

Le Dr Palazzi, psychiatre, sollicite l’avis du conseil national de l’ordre des médecins avant d’accepter la mission que lui confie le cabinet. Puis elle enquête sur les personnes en cause via des entretiens avec les collaborateurs, les collègues, les membres des ressources humaines, et, avec l’autorisation sur CHSCT rencontre la famille. « Un entretien centré sur le discours du salarié sur son travail », précise-t-elle. L’intention n’est pas d’identifier des vulnérabilités individuelles, mais de déterminer ce qui, dans les conditions de travail, a pu mettre le salarié en danger. Elle ne demande pas l’accès aux dossiers médicaux.

Le 18 octobre 2007, Stéphanie Palazzi restitue oralement, à huis clos, confidentiellement, ses conclusions, lors d’une réunion en présence de responsables du CHSCT, de l’inspectrice du travail, du médecin du travail. Seules les initiales des noms des défunts sont citées. La médecin ne livre aucun élément médical devant le CHSCT, à l’exception de la notion de « syndrome anxio-dépressif » à propos d’un salarié décédé en 2007. « Les conclusions orales du Dr Palazzi ont porté exclusivement sur les conditions de travail dans l’entreprise », indique le procès-verbal de la chambre disciplinaire nationale.

Pourtant, suite à la plainte des familles contre Renault, le procureur du tribunal de grande instance de Versailles exige de recevoir les comptes rendus du Dr Palazzi. C’est-à-dire, les notes sur lesquelles elle s’est appuyée pour sa communication devant le CHSCT. Sommé d’obéir à la justice, Technologia livre ces textes qui sont transmis aux parties. L’avocat de Renault met en avant le syndrome anxio-dépressif dans sa défense. La polémique éclate dans la presse. Le syndicat national de professionnels de la santé au travail (SNSPT) saisit la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre de Paris. Le Dr Stéphanie Palazzi reçoit un blâme le 21 septembre 2010, que la décision de la chambre disciplinaire d’appel vient d’annuler. Renault a d’autre part été reconnu coupable de « faute inexcusable » par la cour d’appel de Versailles le 11 mai dernier dans le décès du salarié décédéen2007.

L’analyse de suicide en question.

Le PV de la chambre disciplinaire nationale disculpe entièrement le Dr Palazzi, précisant qu’elle n’a commis aucun manquement déontologique. Néanmoins, l’analyse de suicide, exercice périlleux, pose problème. « Cette mission comporte un risque intrinsèque d’atteinte au secret professionnel », soutient, à en lire le PV de l’Ordre, le Dr Palazzi.

Certes, la psychiatre n’a jamais mené d’autopsie psychologique, comme la presse le dénonçait en 2007. Le cabinet Technologia, qui officie également auprès de France Télécom ou la Poste, se défend d’en pratiquer. La méthode qui consiste à passer au crible la vie du salarié de son suicide à sa naissance, englobant famille, contexte social, travail, santé physique, antécédents, voire prélèvements post-mortem, inspirée du Canada, est exclusivement réservée à l’INSERM.

« Dans ses expertises CHSCT suite à un drame, Technologia se concentre sur l’organisation du travail. Nous cherchons ce que nous dit le suicide sur l’organisation du travail, pas sur la psychologie de l’individu. Le dossier Ressources humaines avec le parcours professionnel de la personne nous apprend déjà beaucoup de choses », clarifie Jean-Claude Delgènes, fondateur de Technologia. « Notre rôle est de mettre en visibilité les problèmes pour prévenir. Nous ne recherchons pas les responsabilités, notre logique n’est pas la réparation, mais la prévention », scande-t-il.

Historiquement premier sur le marché de la souffrance en entreprises, Technologia a rodé sa méthode d’expertise CHSCT, à base d’entretien d’1h, 1h30, d’observations, d’entretien de groupe, voire de questionnaires sociotechniques.

Mais aucune autorité ne contrôle cette méthode, même si « tous les cabinets sérieux font la même chose », selon Jean-Claude Delgènes, et le processus d’agrément, délivré par le ministère du travail sur proposition d’une liste élaborée par la direction générale du travail, est la cible de critiques récurrentes.

Sans encadrement strict, les dérives sont à portée de main. « Ce qui a posé problème chez Renault, c’est d’aller écouter les familles que l’ancienne direction n’avait pas reçues. Même si cela s’est fait avec l’accord du CHSCT, il aurait été préférable de ne pas mener ces entretiens car cela a sans doute créé une confusion avec les autopsies psychologiques », reconnaît Jean-Claude Delgenes. Missionné plus tard pour France Télécom, il n’a jamais rencontré les familles. « On ne fait plus d’analyses nominatives, on ne veut plus prendre de risque », admet-il.

S’il n’existe aucune orientation dans les méthodes pratiquées par les cabinets agréés, il n’en existe pas plus pour appréhender le suicide. Jean-Claude Delgènes demande depuis avril 2011 la mise en place d’un observatoire des suicides, avec des indicateurs pour améliorer la prévention. Selon lui, plusieurs personnalités de la nouvelle majorité l’ont signé, dont la ministre déléguée à l’éducation, Mme Georges Pau-Langevin.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9130