Médecins exilés en France : la Tunisie bat le rappel

Publié le 04/02/2011
Article réservé aux abonnés

CENT MILLE Libyens se font hospitaliser chaque année en Tunisie. Question de prestige et de réputation. Cliniques modernes, soins de qualité, formation médicale conforme aux normes internationales : la Tunisie fait exception au Maghreb. Le petit État a su éradiquer toutes les pandémies, et s’est doté d’une assurance-maladie. Mais ces atouts ne doivent pas masquer d’importantes inégalités : les cliniques sont réservées à une clientèle fortunée, alors que vieillissent les hôpitaux publics. La répartition des médecins (8 000 généralistes et 8 000 spécialistes) est également problématique : des caravanes de santé sillonnent les zones reculées, là où les spécialistes viennent à manquer. Le renfort apporté par des médecins russes et bulgares n’est pas la panacée : la plupart ne restent pas.

L’exode des blouses blanches inquiète le Pr Nabil Ben Salah, directeur de la recherche médicale à la Direction générale de la santé tunisienne, et auteur d’une étude sur la question : « On aimerait voir revenir les spécialistes tunisiens qui sont en France car on a besoin d’eux. C’est le cas pour 120 radiologues, 130 anesthésistes réanimateurs, et 50 gynécologues. Ils sont partis pour la rémunération, et la peur de se retrouver seul dans une région isolée ». La fin du régime Ben Ali encouragera-t-elle les retours au pays ? Le Pr Ben Salah l’espère. « La santé est une priorité du gouvernement, précise-t-il. Nous sommes en train de revoir certaines organisations pour attirer nos médecins en poste à l’étranger : nous voulons renforcer les équipes pluridisciplinaires afin d’éviter l’exercice médical isolé. »

Le mode d’exercice est dissuasif, mais le salaire peut-être plus encore. « Un professeur de médecine gagne 2 700 dinars par mois (1 400 euros), expose le Pr Khelil Ezzaouia, chirurgien à Tunis. La garde de 24 heures est payée 30 euros. C’est pour cela que nos médecins partent à l’étranger ou dans le privé, où l’on gagne cinq à dix fois plus. » L’hôpital central de Tunis jongle avec quatre anesthésistes, pas un de plus, pour faire tourner sa maternité et ses 30 salles d’opération. « En 2010, la Tunisie a formé 30 anesthésistes. La plupart sont en stage en France aujourd’hui. Certains reviennent, mais ils vont dans le privé », déplore le Pr Ezzaouia. Les radiothérapeutes manquent aussi : il faut attendre près de six mois pour un rendez-vous.

Ceci étant, les études médicales continuent d’attirer : les quatre facultés de médecine (Tunis, Sousse, Sfax, Monastir) font le plein chaque année de brillants bacheliers. Pour le Pr Maher Ben Ghachem, « il y a trop de médecins formés en Tunisie ». Trop de généralistes surtout : un généraliste sur cinq est au chômage.

D. CH.

Source : Le Quotidien du Médecin: 8900