« Penser au psychotraumatisme pour bien prendre en charge les victimes de violences », indique la Dr Sabrina Ali Benali à l'origine d'un outil de repérage

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Publié le 19/05/2021

Crédit photo : AFP

La Dr Sabrina Ali Benali a consacré sa thèse de médecine, soutenue en mars 2021, à la construction d'un outil d'aide aux médecins de premiers recours pour la prise en charge des patientes victimes de violences souffrant de psychotraumatisme. Avec l'espoir de le diffuser largement, et au-delà, de participer à une prise de conscience collective.

LE QUOTIDIEN : En quoi consiste la brochure « psychotraumatisme et violences » que vous avez élaborée dans le cadre de votre thèse ?

Dr SABRINA ALI BENALI : Il s'agit d'un outil de prise en charge des femmes victimes de violence et souffrant de psychotraumatisme, qui se veut facile d'utilisation. Il se présente sous la forme d'un dépliant que l'on peut garder dans la poche de sa blouse à l'hôpital, ou à ses côtés en cabinet. Il présente les mécanismes du psychotraumatisme et les signaux d'alerte qui doivent y faire penser en consultation, il donne des clés pour repérer les signes de gravité immédiats et précise la conduite à tenir.

Surtout, y figurent les contacts des structures régionales associatives, juridiques et médico-psychologiques vers lesquelles les médecins d'Île-de-France peuvent orienter les victimes - ce dépliant ayant été conçu dans le cadre d'un projet de recherche-action de la mairie de Paris, en partenariat avec l'association Un maillon manquant. Il peut être diffusé sur tout le territoire en modifiant cette dernière page de contacts.

La brochure a déjà été présentée à des généralistes et urgentistes de Paris et d'Un maillon manquant (l'association étant responsable d'un diplôme interuniversitaire sur le sujet).

À quel besoin répond cet outil ?

Les médecins méconnaissent le psychotraumatisme et ne savent guère prendre en charge les femmes victimes de violence, faute de formation suffisante et d'outils adéquats, comme je l'ai montré dans une première partie de ma thèse.

Depuis 2016, un item a été ajouté à l'internat et au programme du second cycle des études médicales, intitulé « Violences sexuelles ». Mais il se concentre sur la prise en charge immédiate d’une victime et fait l'impasse sur le repérage et l’accompagnement de violences sexuelles plus anciennes.

Or c'est un enjeu de santé publique majeur : les femmes victimes de violences perdent une à quatre années de vie en bonne santé et se retrouvent prises dans des errances diagnostiques sans fin (faute d'identifier le problème à l'origine de leurs troubles psychosomatiques), sans parler du coût économique.

Des outils existent déjà sur le site de la MIPROF (mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) : des clips de 10 minutes, une brochure de 40 pages, un dépliant du CHU d'Angers. Mais très peu de professionnels les connaissent, et ils ne sont pas toujours adaptés.

Quant aux recommandations de la Haute Autorité de santé de 2019, elles n'intègrent pas d'item sur le soin et surtout, ne parlent pas de la notion de psychotraumatisme.

Or il est capital de comprendre cette notion et ses mécanismes sous-jacents. D'après les travaux de la Dr Muriel Salmona, dès qu'il y a violence, il y a sidération. Le cerveau déconnecte, et cette déconnexion va entraîner des troubles, des symptômes, une mémoire traumatique. Souvent, il y a un déni, un tabou qu'il faut savoir repérer, même si la femme dit n'avoir pas été victime de violences, ou si celles-ci sont très anciennes.

À travers cet outil, j'espère aussi créer un effet de levier pour que le sujet soit enseigné dans les facultés de médecine, car il est difficile de rattraper sur le tas le manque d'enseignement initial.

La notion de psychotraumatisme fait parfois débat, tout comme la compréhension de ses mécanismes...

J'ai repris les critères du DSM-5 et la définition proposée par le Pr Louis Crocq : « phénomène d'effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d'un évènement agressant ou menaçant pour la vie ou pour l'intégrité physique et psychique d'un individu qui est exposé comme victime, témoin ou acteur ».

Vous invitez les médecins à poser systématiquement la question : « Vivez-vous ou avez-vous vécu des choses qui vous font toujours du mal ? Vous font-elles toujours souffrir ? » Pourquoi ?

Beaucoup de médecins ne savent pas comment aborder le sujet des violences. Ces questions sont larges, faciles à poser et ouvrent sur d'autres évènements potentiellement traumatisants (accidents, deuil).

Le risque que cela réactive le trauma n'est pas plus intense que dans d'autres situations, et le médecin est censé savoir comment prendre en charge une génération d'angoisse. L'écoute fait partie du soin, le rôle du médecin ne peut se résumer à poser une question. Il faut enfin privilégier la précocité du repérage pour mieux prendre en charge les victimes.


Source : lequotidiendumedecin.fr