PRÉVENTION - Une sortie progressive du tout curatif

Publié le 16/08/2011
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Crédit photo : © AFP

« J’ÉTAIS, en 1975, président de la commission Cancer au ministère de la Santé, ce qui me donnait l’occasion de voir régulièrement Simone Weil, alors ministre de la Santé. Celle-ci fumait beaucoup et en toutes circonstances. Prenant mon courage à deux mains, je lui dis un jour qu’en tant que ministre de la Santé, elle devrait donner l’exemple et ne plus fumer en public. Elle fut choquée par cette remarque, mais m’interrogea longuement ; puis après une discussion animée, elle décida avec courage et panache de lancer une action contre le tabac. »

Cet épisode raconté par Pr Maurice Tubiana dans la préface du « Traité de prévention »* est emblématique de la situation en France dans les années 1970. « Il est intéressant qu’une mesure de santé publique aussi essentielle ne soit pas venue des services du ministère mais d’un clinicien inquiet devant l’accroissement rapide de la fréquence des cancers du poumon », ajoute d’ailleurs le Pr Tubiana.

Après la grande période de l’hygiénisme qui se prolongea jusque dans les années après-guerre, avec notamment le combat contre la tuberculose, la prévention connaît une phase de déclin. À partir des années 1950, sous l’effet de la rénovation urbaine, du développement de la Sécurité sociale, de la généralisation de l’accès aux soins, des progrès de la médecine et, plus généralement, de l’augmentation du niveau de vie, les indicateurs sanitaires de la population s’améliorent.

« C’est le temps du biomédical triomphant et de la foi en la toute puissance de la médecine curative », souligne en 2003 l’inspection générale des Affaires sociales (IGAS), trente ans après un premier rapport sur la question (1974). « La santé publique devient une discipline marginale et la prévention un parent pauvre du système de soins », poursuit le rapport.

Loi antitabac, le signal.

Le Pr Tubiana réussit à convaincre la ministre de la Santé qui, dans sa loi de 1976, prévoit le lancement d’une campagne d’information sur le tabac et l’interdiction de la publicité. « Nous étions naïfs et n’avions pas prévu que celle-ci allait continuer en faveur d’allumettes, de vêtements, portant le même logo que les cigarettes », avoue le médecin. Cette première prise de conscience allait tout de même aboutir à l’arrêt de la progression de la vente de tabac, consommé en 1975 par 75 % de la population masculine, mais il faudra encore attendre pour que la lutte contre le tabagisme soit érigée en priorité de santé publique et que se dessine un nouvel équilibre entre curatif et préventif.

L’adoption de la loi Évin de 1991, préparée avec la collaboration d’un petit groupe de spécialistes réunis autour du Pr Tubiana (le groupe des cinq « sages », avec le Pr Gérard Dubois, le Pr Claude Got, le Pr François Grémy et le Pr Albert Hirsch), constitue, de ce point de vue, une étape clé.

Pour la première fois, le législateur encadre sévèrement les conditions de promotion et de consommation du tabac mais aussi de l’alcool : interdiction de toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ; réglementation précise de la taille et du contenu des informations figurant sur les unités de conditionnement ; interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif ; encadrement juridique de la publicité en faveur des boissons alcoolisées ; renforcement des mesures de protection des mineurs à l’égard de la distribution d’alcool.

« Cette loi a incontestablement été un signal, l’occasion d’une prise de conscience collective sur les dangers du tabac et de l’alcool, une source d’inspiration et de stimulation des initiatives à l’échelle internationale (convention cadre de lutte contre le tabac sous l’égide de l’OMS, déclaration du bureau régional européen de l’OMS sur les jeunes et l’alcool) », note le rapport de l’IGAS de 2003.

La loi Évin témoigne aussi d’une autre préoccupation, déjà en germe dans les années 1970. La part de la richesse nationale consacrée à la santé du fait du progrès médical et thérapeutique couplée à l’augmentation de l’espérance de vie devient un sujet de débat. Les maladies chroniques et les facteurs de risque liés aux modes de vie s’imposent comme des problèmes. C’est surtout, avec la réapparition ou l’émergence des maladies infectieuses (sida) et la survenue de crises sanitaires (sang contaminé…), dans les années 1980-1990, « qu’il a fallu recommencer à réfléchir autrement qu’en termes exclusifs de thérapeutiques de pointe » et mesurer « les limites et l’envers d’un progrès industrialisé et mal maîtrisé », reconnaît l’IGAS.

Loi du 4 mars 2002.

La création des agences sanitaires et la mise en place de nouveaux dispositifs de prévention transforment en profondeur le paysage de la santé publique. « La prévention fait une entrée tardive dans le droit sanitaire français », relève l’IGAS. La loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à la qualité des soins introduit pour la première fois dans le droit positif une définition de la prévention et crée l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), qui succède au Comité français d’éducation pour la santé.

La loi pose le principe de « programmes prioritaires nationaux de prévention » fixés par l’État** après consultation des caisses nationales d’assurance-maladie, de la conférence de santé et du Haut conseil de la santé. Elle inscrit également la couverture des frais résultant de ces programmes prioritaires de prévention parmi les missions générales de l’assurance-maladie, ce qui les situe dans le même régime et permet de les financer comme des soins sur des crédits non limitatifs (jusque-là, la prévention était financée dans le cadre d’une enveloppe qui ne pouvait être dépassée).

En instaurant les bases d’une démocratie sanitaire, la loi entrouvre aussi la porte pour un nouveau regard sur la prévention, entendue au sens de la Charte d’Ottawa (OMS, 1986) comme la promotion de la santé. Celle-ci entend donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer, une conception que les spécialistes de santé publique appellent de leurs vœux mais qui suscite encore beaucoup de réticences : « La réalité qu’il recouvre n’est encore ni comprise ni acceptée par beaucoup de responsables de la politique de santé », souligne Jean-Pierre Deschamps, ancien directeur de l’École de santé publique.

La création des Agences régionales de santé (ARS) par la loi HPST (Hôpital, patients, territoires) de juillet 2009 va dans ce sens, de même qu’elle assoie le passage à une logique qui vise à intégrer soin et prévention.

* Sous la direction de François Bourdillon, Flammarion, mars 2009.

* La loi de santé publique du 9 août 2004 définit 5 plans quinquennaux de santé et 100 objectifs. Une nouvelle loi est toujours attendue.

Article publié dans le numéro 40 ans du « Quotidien du Médecin ». Cet été, revivez 40 ans d’évolution de la médecine au quotidien, à travers 40 thèmes, de A à Z.

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : lequotidiendumedecin.fr