Éditorial

Question bêtes

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Publié le 30/04/2020

Même Pablo Servigne, porte-drapeau de la mouvance collapsologue, reconnaissait en début d’épidémie qu’il ne l’avait pas vu venir. Par bien des aspects, la crise que nous subissons apporte pourtant de l’eau au moulin de ceux qui, comme lui, prophétisent la fin du monde actuel : interconnecté, globalisé, dérégulé et dévoreur d’énergie. Comment ne pas leur prêter l’oreille, alors que tous les indicateurs rendent plausible la thèse de l’effondrement : déficit monstre des États, chute des valeurs boursières, retour d’un chômage de masse, inflation de la précarité… Quoi qu’on fasse, le cours des choses paraît hors de contrôle, évoquant de tous côtés le chaos. Jusqu’au confinement quasi-généralisé du monde occidental, qui semble pourtant avoir atteint son but sur le plan sanitaire, mais sera peut-être à l’origine d’un drame humanitaire. Selon le Programme alimentaire mondial, la récession qui va en résulter pourrait doubler le nombre de personnes au bord de la famine… Ceux-là ne mourront peut-être pas du Covid-19. Mais…

Les facteurs originels de la crise interrogent aussi nos modes de vie. On a déjà tout dit de la mondialisation de nos sociétés qui, alliée au réchauffement climatique, les rend si vulnérables aux maladies émergentes. On découvre aussi que dans interdépendance il y a dépendance, concernant par exemple l’approvisionnement en matériels de protection ou de détection et en médicaments. Au-delà, c’est tout le rapport humanité-animalité qui est aussi mis en cause par cette pandémie.

Cette interrogation n’est pas nouvelle : depuis la vache folle, la grippe aviaire, Ebola ou le Zika, on a pris conscience du lien étroit entre notre santé et celle des autres espèces. Et, ces dernières années, la controverse sur la cancérogénicité de l’alimentation carnée est venue − sous une autre forme − poser mezza voce la question du rapport de l’être humain à la nature. Avec le Covid-19, la prise de conscience est plus brutale et éclaire sous un jour cru le commerce des animaux sauvages, la déforestation ou les élevages en batterie. Mais qui y mettra bon ordre ?

Jean Paillard

Source : Le Quotidien du médecin