Politique de prévention

À revoir, selon la Cour des comptes

Publié le 24/10/2011
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D’EMBLÉE le ton est donné. « Il est traditionnellement admis que la prévention occupe une place subsidiaire dans le système de santé français », souligne la Cour des comptes dans le rapport qu’elle a réalisé à la demande de la commission des Affaires sociales et de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financements de la sécurité sociale (MECSS) de l’Assemblée nationale. Si la loi du 2 mars 2002 relative aux droits des malades puis celle de santé publique du 9 août 2004 ont donné un cadre juridique structuré, la volonté politique est « encore insuffisante », selon la Cour.

La loi de 2004 a certes permis de fixer 100 objectifs de santé publique mais la Cour déplore une « sélectivité très limitée » et une absence de hiérarchisation dans le choix de ces objectifs, « contrairement à la position prise dans d’autres pays ». La France a choisi de retenir tous les problèmes de santé dont le retentissement représentait au moins 1 % du total des DALYs calculés par l’OMS (nombre d’années de vie perdues en raison d’un décès prématuré et nombre d’années perdues en raison d’une diminution de la qualité de vie résultant de la présence d’une maladie). La Grande-Bretagne, « en quelque sorte le contre-exemple de la situation française », a, elle, opté pour 4 priorités, 4 objectifs sur 10 ans, en sélectionnant les problèmes responsables du plus grand nombre de DALYs perdus (cancers, maladies cardio-vasculaires, accidents, santé mentale). Le programme britannique présente l’avantage « de la continuité (10 ans), de la simplicité et de la clarté », souligne la Cour des comptes.

De plus, le choix de 100 objectifs n’a pas mis fin en France à l’accumulation des plans « trop nombreux, mal articulés et mal suivis ». Une trentaine de plans aux statuts divers existent. Le rapport de la Cour des comptes dénonce la confusion dans leur appellation, tantôt « plan gouvernemental » (drogues et toxicomanies), tantôt « plan national » (prévention bucco-dentaire, maladies rares ou bien vieillir), tantôt encore « stratégies d’action » (contraception), alors que ces « différences sémantiques » ne recouvrent « aucune différence de contenu ou d’approche ». Ces plans « s’additionnent depuis plusieurs années sans véritable cohérence avec les objectifs fixés par la loi de 2004, auxquels nombre d’entre eux ne se réfèrent pas et avec des redondances plus ou moins fortes parfois » entre les uns et les autres.

220 millions pour sauver deux vies.

Le manque d’articulation fait que les mesures d’un plan – plan Cancer par exemple – se retrouvent dans d’autres plans ou contribue à des objectifs formulés par ailleurs. Et « ce manque de rigueur dans leur conception nuit à la lisibilité de l’action publique ainsi qu’à la transparence de l’affectation des moyens », déplore le rapport.

Il se traduit aussi par une absence d’évaluation médico-économique. « La politique de prévention s’adresse pour l’essentiel à une population en bonne santé, à qui sont imposés des comportements, des interdictions, des obligations. La question de la preuve scientifique de l’efficacité d’une mesure est donc fondamentale, non seulement ex ante dans des conditions encore expérimentales mais aussi de façon continue lors de la mise en œuvre », insiste la Cour des comptes. Faute de fixer une valeur pour la vie humaine, « les dépenses vie sauvée ou par année de vie en bonne santé peuvent apparaître illimitées », prévient-elle. Elle cite l’exemple du dépistage du VHC chez les donneurs de sang. L’introduction en 2001 d’un test de dépistage génomique a permis de réduire le risque de transmission a à 1/12 500 000 au prix d’une hausse de 5 % du prix unitaire des produits sanguins par rapport à l’ancien test (recherche d’anticorps), permettant de prévenir 6 cas d’infection à VIH et 8 cas d’hépatite C en six ans, soit un coût de 220 millions d’euros pour statistiquement moins de deux vies sauvées. De tels choix « demeurent bien entendu fondamentalement de nature éthique », reconnaît la Cour, mais la question de l’utilisation optimale des ressources publiques limitées se pose.

Là encore le National Institute for Clinical Excellence (NICE) britannique est donné en exemple. L’efficacité d’une stratégie préventive est appréciée en prenant en compte la durée de la vie et la qualité de vie des personnes auxquelles elles s’appliquent. Le coût-utilité est alors exprimé en euros/ Qaly gagné (Quality adjusted life years). Une telle approche n’est pas appliquée en routine en France sauf dans le cas du dépistage du VIH. La proposition de dépistage systématique à la population générale de 15 à 70 ans, soit une cible de 40 millions de personnes, a fait l’objet d’une évaluation médico-économique. De telles évaluations même avec leurs limites – la HAS n’a pas évalué l’impact budgétaire d’un dépistage de 40 millions de personnes ni les conditions d’adhésion des médecins généralistes, une condition de la mise en œuvre opérationnelle de la mesure – n’ont été effectuées ni pour le dépistage du cancer du sein ni pour le cancer colo-rectal.

Un pilote pour la prévention.

Dans le cas du dépistage du cancer du sein chez les femmes de 50-69 ans, son intérêt est scientifiquement établi dans des conditions expérimentales, toutefois son efficacité dans la vie réelle ne va pas de soi, du fait d’un certain nombre de facteurs comme la qualité des clichés ou de la lecture, la qualité de la prise en charge mais aussi de la participation des femmes. Pour obtenir une baisse significative de la mortalité, un taux de 70 % serait nécessaire. Il est plutôt de 50 %.

Selon la Cour des comptes, les effets négatifs de l’existence d’un dépistage individuel ne sont pas suffisamment pris en compte, comme dans le cas cancer du sein chez les femmes de 40-49 ans et du dépistage du cancer de la prostate que la Haute Autorité de santé (HAS) ne recommande pas.

Enfin le rapport dénonce l’insuffisance de pilotage de la politique de prévention et propose que le Directeur général de la santé ait les compétences de délégué interministériel à la prévention sanitaire. Si des progrès sont attendus du fait de la création des Agences régionales de santé (ARS), la prochaine loi de santé publique « pourrait être l’occasion de définir une stratégie plus affirmée autour d’objectifs en nombre restreint, mobilisant des financements de l’État et de l’Assurance-maladie dans une logique de mutualisation forte, et s’accompagnant d’un pilotage clair et ferme par un délégué interministériel et d’un dispositif d’évaluation méthodologiquement rigoureux », conclut la Cour des comptes. Ses recommandations vont dans ce sens.

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 9031