Alors que l’intitulé du nouveau maroquin de Brigitte Bourguignon met sur un pied d’égalité santé et prévention, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), émanation de la société civile chargée d’éclairer les pouvoirs publics, a adopté le 24 mai un avis en faveur d’une politique de santé-environnement ambitieuse.
Parmi les 20 propositions, beaucoup visent à améliorer la visibilité politique de cet enjeu, comme l’adoption d’une loi d’orientation fixant les objectifs de la France en matière de santé-environnement, la création d’un délégué interministériel et d’un défenseur des droits spécifiques, ou encore le renforcement du pouvoir des collectivités territoriales. Il est aussi question de trouver des financements innovants de la santé-environnement, en taxant par exemple les activités ayant un impact négatif sur les écosystèmes.
Défragmenter les lois
Surtout, le Cese insiste sur l’importance du dialogue entre recherche et décision politique. « À l’ère du principe de précaution, inscrit dans la Constitution en 2005, il faut une recherche forte. Si la science est faible, les décisions sont prises dans un contexte d’incertitude ; si elle est forte, les décisions pourraient être opposables », commente l’épidémiologiste environnemental Rémy Slama, directeur de recherche à l’Inserm et titulaire de la chaire Santé publique du Collège de France, dont s’est inspiré le Cese.
Le temps n’est plus aux décisions (trop) tardives, où l’on attend d’avoir la certitude du danger pour agir (1997 pour interdire l’amiante, 2000 pour le plomb dans l’essence). La gestion du risque pourrait être plus protectrice de la santé publique, en abandonnant des lois sectorielles et la logique de niche (substance par substance, molécule par molécule, usage par usage) au profit d’une approche générique, ciblant des familles de substances et des classes de danger (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, perturbateurs endocriniens, etc.).
« Ces lois sur des substances individuelles sont faibles, peu explicites dans leur formulation ; les citoyens peuvent avoir l’impression d’être protégés, mais beaucoup de place est laissée à l’interprétation, sans que les connaissances scientifiques les plus récentes ne soient prises en compte », considère Rémy Slama. Sans compter qu’elles laissent de côté les effets cocktails et les recompositions chimiques.
Transversalité
C’est par exemple le cas de la loi de 2012 qui interdit le bisphénol A dans les contenants destinés à entrer en contact avec les aliments. « Cette loi a eu le mérite d’attirer l’attention sur la substance, mais elle ne prend pas en compte tous les autres bisphénols, ni les autres secteurs - cosmétique, pharmaceutique, phytosanitaire », poursuit le chercheur. D’autres réglementations suivent des logiques différentes : la directive de 2009 sur les pesticides englobe toute une classe de dangers (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, perturbateurs endocriniens) dans un secteur et la convention internationale de Stockholm (2001) interdit les polluants organiques persistants (POP), soit une classe de danger dans tous les secteurs.
Selon l’épidémiologiste, il est temps de revisiter les lois de la santé-environnement (sur la qualité de l’air, de l’eau et de l’alimentation) pour sortir de l’ambiguïté et de la fragmentation. « La nécessité d’une transition énergétique est l’opportunité de remettre les choses à plat, en s’appuyant sur la santé publique », estime-t-il. Un chemin qu’emprunte la Commission européenne dans le cadre de la révision de sa législation sur les produits chimiques (règlement Reach de 2007), en ciblant l’élimination d’ici à 2030 de familles entières de substances chimiques ultra-répandues (PVC, phtalates, substances per- et polyfluoroalkylées, retardateurs de flammes, bisphénols, etc.).
Soutenir la recherche
Dans ce paradigme, une fois les grands principes posés au niveau du débat public, la charge revient alors aux chercheurs de « faire le travail de fourmi » de définition et de qualification des substances. « On considère qu’il y a 100 000 substances chimiques sur le marché ; seulement 500 sont bien caractérisées en termes d’exposition et de danger », illustre Rémy Slama.
Les chercheurs doivent aussi travailler au croisement des données de santé et environnementales. Et plus largement, identifier les dangers, quantifier les expositions, déterminer les risques et valider les interventions efficaces, afin d’aider les politiques à choisir au mieux. « Il faudrait que les décideurs passent autant de temps à discuter avec les représentants des intérêts privés, les associations de patients, qu’avec les chercheurs, qui pourraient être mieux représentés, notamment à Bruxelles », estime-t-il encore. Mais de nombreux freins persistent, liés à la qualité de l’expertise scientifique (quoique la prise en compte des conflits d’intérêts ait progressé), et surtout à ses modes de diffusion dans l’arène publique.
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