Soins palliatifs et Covid-19 : polémique autour de la dispensation du Rivotril en ville, les professionnels rassurent

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Publié le 06/04/2020

Crédit photo : S. Toubon

« Non, il ne s'agit pas de cautionner l'euthanasie. » Le Pr Olivier Guérin, président de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), a ainsi tenté de désamorcer la polémique autour du clonazépam (molécule de la classe des benzodiazépines), après la publication du décret le 29 mars au « Journal officiel ». 

Ce décret stipule que le Rivotril sous forme injectable peut faire l'objet « d'une dispensation, jusqu'au 15 avril 2020, par les pharmacies d'officine en vue de la prise en charge des patients atteints ou susceptibles d'être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont l'état clinique le justifie sur présentation d'une ordonnance médicale portant la mention “Prescription Hors AMM dans le cadre du Covid-19” ». Il précise que dans cette prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM), le médecin doit « se conformer aux protocoles exceptionnels et transitoires relatifs, d'une part, à la prise en charge de la dyspnée et, d'autre part, à la prise en charge palliative de la détresse respiratoire, établis par la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) »

Conseil d'État et CCNE sollicités

D'aucuns ont voulu y lire une légalisation de l'euthanasie. Le syndicat Jeunes Médecins a demandé au Conseil d'État de suspendre ce dispositif. « L'administration de cette molécule (contre-indiquée en cas d’insuffisance respiratoire) à un patient souffrant du Covid-19 aura pour effet d’atteindre une sédation terminale à domicile entraînant le décès », argumente le syndicat. Et de considérer que la collégialité n'est pas suffisamment encadrée par ce décret. 

De son côté, l'Espace éthique de la région Ile-de-France a adressé une saisine au Comité consultatif national d'éthique (CCNE), pour qu'il « émette une position à ce sujet et précise les principes éthiques qui s'imposent à cet égard dans cette situation exceptionnelle »

Des tensions sur le midazolam 

« L'usage du Rivotril n’est pas facilité, il faut toujours respecter le même protocole pour sa prescription, y compris lorsqu’il est appliqué comme sédatif pour des patients en soins palliatifs. C’est seulement son accès qui est facilité car auparavant il ne pouvait être fourni que par les pharmacies hospitalières », explique le Pr Guérin, ajoutant que le décret prévoit un cadre similaire pour le paracétamol intraveineux.

Ce décret répond, selon le Pr Vincent Morel, chef de service soins palliatifs au CHU de Rennes, et président du conseil scientifique de la SFAP, à des risques de tensions sur certains médicaments, comme le midazolam (benzodiazépine utilisée en anesthésie), utilisé en première intention. L'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn avait promis de rendre cette molécule accessible en ville peu avant la crise du Covid (et son départ), à la suite de recommandations de la Haute autorité de santé. 

« Nous avons besoin de ces dérogations, pour être sûrs qu'à n'importe quel endroit du territoire, on puisse avoir accès à l'une des quatre molécules permettant de prendre en charge des détresses respiratoires asphyxiques à domicile ou en EHPAD », explique au « Quotidien » le Pr Morel. Quatre benzodiazépines sont utilisées en association avec des morphiniques : midazolam (Hypnovel), en première intention, clorazépate (Tranxène), Diazépam (Valium) et donc clonazépam (Rivotril). Ceci pour prendre en charge des détresses respiratoires asphyxiques à domicile ou en EHPAD (palliative ou non) et la dyspnée, comme le précisent les propositions thérapeutiques de la SFAP.  

« Nous avons considéré que ces molécules ont les mêmes indications : dans le cadre de la dyspnée, elles permettent de prendre en charge de l'anxiolyse et dans la détresse asphyxique, elles permettent d'endormir le malade », poursuit le spécialiste des soins palliatifs. 

Collégialité à préserver

La SFAP précise que ces dispositifs ne sont à mettre en œuvre que dans les régions touchées par le Covid-19, les équipes soignantes des autres territoires devant continuer à suivre les dernières recommandations de la HAS

En outre, « ces pratiques sédatives sont rares dans l'accompagnement des patients Covid-19, elles s'appliquent surtout en cas de détresse respiratoire insupportable, pour soulager le patient quand on sent que le décès va intervenir », insiste encore le Pr Morel. Et de rappeler que les généralistes doivent continuer à collaborer avec les professionnels des soins palliatifs (équipes mobiles, réseaux, unités), de gériatrie ou d'hospitalisation à domicile. La SFGG rappelle de son côté que les gériatres hospitaliers, via des hotlines notamment, se tiennent à leur service pour les aider dans les décisions partagées. 


Source : lequotidiendumedecin.fr